L’abat-jour de Paul Géraldy

Paul Lefèvre-Géraldy, dit Paul Géraldy  est un poète et dramaturge français, auteur d’une œuvre intimiste et sentimentale.

Il est né le 6 mars 1885 à Paris 18e

Il publie son premier recueil, Les Petites Âmes, en 1908, et connaît un très grand succès populaire avec son second recueil, Toi et moi, en 1912.

Les écrits de Paul Géraldy reflètent sa vie sentimentale. Il y dit ses amitiés (Vuillard, Giraudoux, Colette), et ses amours que détruisent le temps.

Toi et moi est un recueil d’une petite trentaine de courts poèmes. C’est une histoire d’amour qui ne va pas échapper à la tristesse que connaissent pas mal d’histoires d’amour en général.

Mais plus que la tristesse, c’est le doux plaisir de la mélancolie qui domine dans le poème « abat-jour »

En quelques lignes, ce poème pourrait à lui seul résumer l’histoire d’amour d’un couple, histoire qui commence dans la passion avec ce que cela confère comme pulsion de vie et d’énergie et qui s’achève par le rattrapage de la réalité. Tout cela dans une grande délicatesse.

Et cette évolution des sentiments est donnée dans ce poème par l’intensité de la lumière réglée par un abat-jour. Au départ une lumière tamisée propice aux rapprochements, aux murmures et à la fin, une lumière plus vive, plus crue qui replonge les 2 personnages dans la réalité.

Avec ce poème, il y a juste à se laisser bercer par le texte d’une écriture simple et intemporelle et goûter au bonheur donné par la poésie.

Paul Géraldy est  mort le 10 mars 1983 à Neuilly-sur-Seine.

Michèle Jacquemelle

L’abat-jour de Paul Géraldy

Tu demandes pourquoi je reste sans rien dire ?
C’est que voici le grand moment,
l’heure des yeux et du sourire,
le soir, et que ce soir je t’aime infiniment !
Serre-moi contre toi. J’ai besoin de caresses.
Si tu savais tout ce qui monte en moi, ce soir,
d’ambition, d’orgueil, de désir, de tendresse, et de bonté !…
Mais non, tu ne peux pas savoir !…
Baisse un peu l’abat-jour, veux-tu ? Nous serons mieux.
C’est dans l’ombre que les coeurs causent,
et l’on voit beaucoup mieux les yeux
quand on voit un peu moins les choses.
Ce soir je t’aime trop pour te parler d’amour.
Serre-moi contre ta poitrine!
Je voudrais que ce soit mon tour d’être celui que l’on câline…
Baisse encore un peu l’abat-jour.
Là. Ne parlons plus. Soyons sages.
Et ne bougeons pas. C’est si bon
tes mains tièdes sur mon visage!…
Mais qu’est-ce encor ? Que nous veut-on ?
Ah! c’est le café qu’on apporte !
Eh bien, posez ça là, voyons !
Faites vite!… Et fermez la porte !
Qu’est-ce que je te disais donc ?
Nous prenons ce café…maintenant ? tu préfères ?
C’est vrai : toi, tu l’aimes très chaud.
Veux-tu que je te serve ? Attends ! Laisse-moi faire.
Il est fort aujourd’hui ! Du sucre ? Un seul morceau ?
C’est assez ? Veux-tu que je goûte ?
Là ! Voici votre tasse, amour..
Mais qu’il fait sombre. On n’y voit goutte…
Lève donc un peu l’abat-jour!