Interview de Sandra Mézière qui publie « La Symphonie des rêves »

Sandra Mézière publie « La Symphonie des rêves » (Blacklephant), un roman qui met en scène Carole, Rebecca, Catherine et Stéphanie, quatre femmes de générations et de milieux différents, qui dans leur enfance ou leur jeunesse, à Venise, Dinard, Athènes, ou Paris, ont vécu une rencontre inoubliable…

Sandra est une passionnée de cinéma et de littérature. Son site Inthemoodforcinema.com nous parle d’ailleurs de tous ses coups de cœur et de tous les festivals de cinéma qu’elle couvre depuis de nombreuses années.  J’ai toujours eu « un parcours entièrement guidé par mes deux passions : le cinéma et la littérature, confie Sandra.  J’ai suivi des études de droit, sciences politiques, médiation culturelle et finalement un Master 2 professionnel de cinéma et scénario à Panthéon-Sorbonne. Romancière et critique de cinéma, notamment sur Inthemoodforcinema.com que j’ai fondé en 2003, j’ai ensuite remporté une dizaine de concours d’écriture de nouvelles (prix Alain Spiess, prix Nouveaux Talents J’ai Lu etc), publié un roman et un recueil de nouvelles sur le cinéma en 2016, L’amor dans l’âme et Les illusions parallèles, puis plusieurs nouvelles de commande dans des recueils collectifs aux Éditions J’ai Lu. Au total une cinquantaine de nouvelles publiées ici et là, dont certaines que j’ai enregistrées en podcast ».

(copyright Dominique Saint)

–       Comment est né ce roman, « La Symphonie des rêves » ? Et comment s’est passée la rencontre avec votre maison d’édition ?

L’idée de ce roman a surgi comme une bouffée d’oxygène et d’émotions joyeusement envahissantes, début mars 2021, en plein confinement. La musique a joué un grand rôle pour moi pendant cette période. Une musique m’a émue et exaltée plus que d’autres au point de susciter cette idée : celle de musiques qui bousculeraient et relieraient les destinées de personnages par-delà le temps, grâce à l’émotion mais aussi au sentiment d’évasion qu’elles procurent, que résume si bien cette phrase de Stendhal présente au début du roman. « La bonne musique ne se trompe pas et va droit au fond de l’âme chercher le chagrin qui nous dévore. » J’avais aussi envie de faire voyager le lecteur, et sans doute égoïstement souhaitais-je voyager moi-même en l’écrivant. Embarquer mes héroïnes dans de nombreuses destinations était ainsi pour moi un moyen de m’évader pendant cette période statique dont la noirceur m’a donné envie d’écrire les destins de ces quatre femmes cheminant de l’ombre vers la lumière.

J’ai donc rédigé un véritable plan d’attaque très précis qui prévoyait un achèvement du roman pour fin août. En septembre 2021, une fois que ce fut fait, je l’ai envoyé à un concours dont j’avais été finaliste avec un autre livre trois ans plus tôt. Le roman n’a pas été sélectionné, ne correspondant pas aux critères, et je l’ai laissé de côté. Un an plus tard, j’ai cédé face à la douce insistance de ma mère qui désirait lire ce mystérieux roman enterré un peu vite. Elle l’a dévoré. La soupçonnant tout de même de n’être pas la personne la plus objective au monde, sans grande conviction, je l’ai envoyé à un autre concours … dont il est arrivé finaliste sur 1300 romans en lice. Encouragée par cette sélection, je l’ai envoyé à ma précédente maison d’édition, J’ai Lu (qui, à ce jour, ne m’a toujours pas donné de réponse). Le hasard m’a conduite à tomber sur cette maison d’édition bretonne en plein essor, Blacklephant, dont les valeurs me semblaient en accord avec celles du roman, alors j’ai tenté. Quelle ne fut pas ma surprise d’avoir un coup de fil 10 jours après, m’apprenant que l’équipe de Blacklephant, à l’unanimité, avait eu un coup de cœur et souhaitait le publier. Le genre de coup de fil dont je pensais, jusque-là, qu’il n’arrivait justement que dans les romans… Et l’aventure de La Symphonie des rêves commençait, ainsi, avec la joyeuse équipe de Blacklephant…

–  Pouvez-vous nous le présenter ?

Mon premier roman, publié en 2016, L’amor dans l’âme, avait été dicté par l’envie et le besoin vital de parler de deuil impossible. Celui-là au contraire chemine de l’ombre vers la lumière, parle d’espoir, de la force des rêves et de la puissance de la musique. Cette musique qui, dans ce roman, enfièvre et/ou console. Vous y croiserez des personnages qui surmontent leurs bleus à l’âme et les blessures du passé. Des destins s’y entrelacent entre la Grèce (Athènes, Hydra, Vouliagmeni), l’Italie (Venise), la Bretagne (Dinard), la Normandie (Trouville), le Festival de Cannes et le Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule.

Dans « La Symphonie des rêves » , nous rencontrons effectivement quatre femmes : Carole, Rebecca, Catherine et Stéphanie. Comment sont nées ces héroïnes, avec chacune un parcours très différent ? Pouvez-vous nous dire quelques mots sur chacune ? Quatre femmes, dont la musique va changer le destin.

Je voulais quatre femmes différentes les unes des autres mais aussi différentes des apparences auxquelles on les réduit, ou des cases dans lesquelles on les enferme. Quatre femmes de générations et de milieux divers. Quatre femmes qui décident un jour d’assumer leurs rêves. Toutes portent en elle une blessure enfouie, ce qui me permettait d’aborder des sujets comme le deuil (à nouveau) ou le harcèlement scolaire. Chacune vit aussi une rencontre associée à une musique, lesquelles vont bousculer leurs destinées. Pour Catherine, une musique classique entendue au Carnaval de Venise. Pour Rebecca, une musique de piano bar d’hôtel à Dinard. Pour Stéphanie, une musique de Michel Legrand et du jazz, à Paris. Pour Carole, une musique grecque, le rebétiko, à Athènes. L’idée était d’écrire quatre portraits de femmes mais aussi une ode à la puissance émotionnelle et salvatrice de la musique, et enfin un livre qui entrelace et exalte la passion amoureuse et la passion artistique à travers quatre histoires d’amour absolu.

– Vous parlez beaucoup de cinéma et de musiques de film dans votre roman qui se déroule pour une partie au Festival de Cannes et surtout au Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule. Quelles sont, de votre côté, les compositeurs de musiques de films que vous aimez ? Et quels sont vos coups de cœur en matière de musiques de films en 2023 ? 

En musique comme en cinéma, j’ai des goûts très éclectiques. C’est l’émotion qui prime. L’émotion d’une réminiscence qui émerge sous l’effet d’une musique. Ou l’émotion provoquée par la musique elle-même. Alors, si je devais n’en citer que quelques-uns, je citerais les compositeurs dont les musiques sont de véritables langages et peuvent s’écouter indépendamment des films…tout en étant indispensables à ceux-ci : George Delerue, Ennio Morricone, John Barry, Philippe Sarde, Maurice Jarre, Philippe Rombi, Francis Lai, Laurent Perez del Mar, Hans Zimmer, Leonard Bernstein, Gabriel Yared, Bruno Coulais, Nino Rota, John Williams, Philippe Sarde, Vladimir Cosma.

J’ai beaucoup appris sur la musique de films grâce au Festival de Cinéma et Musique de Film de La Baule dont je n’ai manqué aucune édition et qui célèbrera cette année ses dix ans, et où j’ai placé une partie de l’intrigue. Les concerts de Philippe Sarde, Vladimir Cosma, Francis Lai et Lalo Schifrin furent ainsi mémorables.

Pour les derniers coups de cœur de 2023, ils sont associés aux meilleurs films de cette année qui le doivent en partie à leurs musiques. D’ailleurs, je me demande toujours pourquoi le Festival de Cannes n’attribue aucun prix à la musique de film qui est le troisième auteur mais c’est un autre débat…

The Son de Florian Zeller (musique de Hans Zimmer), Un coup de maître de Rémi Bezançon (musique de Laurent Perez del Mar), La Syndicaliste de Jean-Paul Salomé (musique de Bruno Coulais), Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand (musique de Delphine Malaussena), Le Cours de la vie de Frédéric Sojcher (musique de Vladimir Cosma),  The Fabelmans de Steven Spielberg ( musique de John Williams), Babylon de Damien Chazelle (musique de Justin Hurwitz),  Les filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania (musique de Amine Bouhafa), L’innocence de Hirokazu Kore-eda (musique de Ryuichi Sakamoto).

– Vous êtes une passionnée de cinéma et participez depuis très longtemps à un grand nombre de festivals.  Le cinéma est d’ailleurs très présent dans votre roman. Quels sont vos films fétiches ?

Oui, cela fait en effet une vingtaine d’années que je couvre les festivals de cinéma et je voulais aussi que ce roman soit imprégné de cette passion pour le septième art. Il me serait difficile de choisir parmi les films de la filmographie de : Sautet, Truffaut, Melville, Hitchcock, Allen, Chaplin, Visconti, Gray… Et si je devais vraiment choisir un seul film, mon cœur balancerait entre Le Guépard de Visconti, Le Samouraï de Melville, Les Enchaînés d’Hitchcock, et plusieurs films de Claude Sautet. Mais je choisirais sans doute Un cœur en hiver de Claude Sautet. Pas son film le plus connu. Justement un film dans lequel les personnages s’expriment par la musique. « La musique, c’est du rêve » dit ainsi le personnage de Stéphane incarné par Daniel Auteuil. C’est par elle, la musique, que Camille (Emmanuelle Béart) s’exprime : tantôt sa mélancolie, sa violence (ainsi cette scène où elle enregistre en studio, lors de laquelle elle manie l’archet comme une lame tranchante), son désarroi, ses espoirs. C’est aussi à travers elle que Stéphane ressent et exprime ses (rares) émotions. La musique ici, aussi sublime soit-elle (celle des sonates et trio de Ravel) n’est pas forcément mélodieuse mais exprime la dissonance que connaissent les personnages. C’est un élément d’expression d’une force rare, bien plus que n’importe quel dialogue. Le tempo des films de Sautet est ainsi réglé comme une partition musicale, impeccablement rythmée, une partition dont on a l’impression qu’en changer une note ébranlerait l’ensemble de la composition. Sautet a atteint la perfection dans son genre, celui qu’il a initié avec Les choses de la vie : le thriller des sentiments. Dans Un cœur en hiver, le souffle du spectateur est suspendu à chaque regard, à chaque note, à chaque geste d’une précision rare, ceux de Stephane (Daniel Auteuil), un des personnages les plus complexes et passionnants qu’il m’ait été donné de voir au cinéma. Dans Les choses de la vie aussi, on se souviendra longtemps du regard d’Hélène (Romy Schneider) qui, de l’autre côté de la porte de son immeuble et à travers la vitre et la pluie, regarde, pour la dernière fois, Pierre (Michel Piccoli) dans la voiture, allumer sa cigarette sans la regarder, et partir vers son fatal destin. Et quand il relève la tête pour regarder elle n’est plus là et il semble le regretter. Et quand elle revient, il n’est plus là non plus. Un rendez-vous manqué d’une beauté déchirante…. Vous l’aurez compris, je pourrais vous parler longtemps du cinéma de Claude Sautet, mais si vous n’avez pas encore vu Un cœur en hiver, ne passez pas à côté de ce chef-d’œuvre.

Et vos coups de cœur au cinéma en 2023 ?  

Tous les films évoqués précédemment, au sujet des meilleures musiques de films de 2023, au premier rang desquels je placerais :

– The Son, les cœurs déchirés, meurtris, inconsolables, dévorés par la souffrance, l’impuissance ou la culpabilité de la magistrale tragédie universelle de Florian Zeller, 

– The Fabelmans, la déclaration d’amour fou à ses parents et au cinéma de Spielberg. Un film mélancolique, flamboyant, intime et universel. Une ode aux rêves qu’il faut poursuivre coûte que coûte, malgré le danger, comme on pourchasserait une tornade dévastatrice. Un film sur le pardon, la curiosité. À fleur de peau. À fleur d’enfance. La force du cinéma en un film. Le cinéma qui transcende, transporte, révèle. Qui mythifie la réalité et débusque le réel. Le cinéma qui éclaire et sublime la réalité comme une danse à la lueur des phares. L’art cathartique aussi comme instrument de distanciation. L’art qui capture la beauté, même tragique. Et pour tant d’autres raisons encore,

 Tár pour Cate Blanchett, prodigieuse dans cette ode à la polysémie et à la complexité humaines et artistiques, aussi palpitante qu’un thriller dont l’énigme consiste à découvrir qui était Linda Tarr devenue Lydia Tár. La force du film réside dans le fait de ne pas la lever totalement, donnant juste quelques pistes dans l’alcôve d’une modeste maison d’enfance américaine dans laquelle elle croise un frère dédaigneux.

– Aftersun de Charlotte Wells avec un dernier plan qui évoque le vide et le mystère que laissent les (êtres et moments, essentiels) disparus, et les instants en apparence futiles dont on réalise trop tard qu’ils étaient cruciaux, fragiles et uniques. Celui du manque impossible à combler. Celui du (couloir) du temps qui dévore tout.

Il faudrait encore citer Le cours de la vie de Frédéric Sojcher pour son magnifique scénario coécrit avec Alain Layrac qui nous donne envie d’embrasser (et scénariser) chaque parcelle de seconde de l’existence.  

Mais aussi Un coup de maître de Rémi Bezançon :  hymne à l’amitié (et à l’émotion inestimable -au sens propre comme au sens figuré- que procure la peinture, et l’art en général), décalée, burlesque, inventive, tendre, inattendue, incisive, mélancolique, profonde et drôle. Tragi-comédie maligne aussi, qui joue et jongle avec l’art et la réalité. Un film porté par la puissance magnétique de la musique qui accompagne le geste du peintre, et caresse les toiles.
– Past lives, nos vies d’avant, de Celine Song, joyau de pudeur, de subtilité, d’émotions profondes,
– la promenade poétique de Wim Wenders, Perfect days,  dont on ressort avec l’envie de croire en tous les possibles de l’existence que ce film esquisse avec une infinie délicatesse.
– le réquisitoire politique puissant de Jean-Paul Salomé, La Syndicaliste, qui réussit le défi d’être aussi un grand film populaire avec une Isabelle Huppert impériale.

 Babylon de Damien Chazelle, épopée à dessein cacophonique et fougueuse qui exhale une fièvre qui nous emporte comme un morceau de jazz échevelé, un film d’une captivante extravagance, excessif, effervescent et mélancolique, un chaos étourdissant aussi repoussant qu’envoûtant, qui heurte et emporte, une parabole du cinéma avec son mouvement perpétuel, dont vous ne pourrez que tomber amoureux si vous aimez le cinéma parce qu’il en est la quintessence, une quintessence éblouissante et novatrice.

Beaucoup de films qui interrogent l’art, la vérité et la fiction comme la formidable palme d’or 2023, Anatomie d’une chute  de Justine Triet que j’allais oublier de citer.  Et un film de 2024 vu en 2023 qui est pour moi un des plus grands chocs cinématographiques de ces dernières années, La zone d’intérêt, de Jonathan Glazer.

Interview réalisée par mail les 16 et 17 janvier 2024


Si vous souhaitez croiser Sandra, elle dédicacera son livre mercredi 24 janvier à 19H à la Librairie du Panthéon, 15 rue Victor Cousin à Paris dans le 5ème.