Interview de Sophie Pigasse pour son livre « Faim de la vie, j’ai réduit l’anorexie en miettes »

Sophie Pigasse-Magnaud a eu une enfance « de rêve », au sein d’une famille aisée avec des parents aimants et une fratrie brillante. Mais « quelque chose va dérailler », raconte-t-elle dans « Faim de la vie, j’ai réduit l’anorexie en miettes » un récit où trente ans après les faits, elle témoigne de son combat contre l’anorexie.

Sophie a une adolescence, comme beaucoup de filles de son âge. Elle mange normalement et grignote entre les repas. Ses grands frères sont parfois ironiques sur ses quelques rondeurs. En fin de troisième, un médecin a des mots malheureux qui vont marquer la jeune fille : « Je vous trouve un peu ronde, Sophie. Vous devriez perdre quelques kilos ».  Elle pèse alors 53 kg pour 1,61 m, soit une corpulence tout à fait normale.

En vacances, dans une famille américaine, elle prend quelques kilos. À la plage, elle se sent complexée en maillot de bain et veut faire un régime. C’est le début d’une terrible spirale …

Sur la quatrième de couverture de son livre, Sophie   poursuit : « L’anorexie m’a prise tout entière, imprévisible et violente, un véritable tsunami. Cette maladie est un long et terrible parcours. Je veux transmettre aux jeunes ma volonté de vivre, le combat qu’il m’a fallu mener, conservé dans mes cahiers de l’époque, et aussi aider à la prévention, conseiller les parents qui se sentent démunis face à leur enfant qui ne mange plus. A cinquante ans, j’ai construit ma vie de femme, j’ai acquis beaucoup de forces, de courage. Ce récit est une renaissance, il se veut un formidable message d’espoir ».

Alalettre a été touché par ce témoignage et a souhaité interviewer Sophie Pigasse-Magnaud

Vous publiez « Faim de la vie, j’ai réduit l’anorexie en miettes » , le récit bouleversant d’une jeune femme touchée par l’anorexie. Cette anorexie, vous l’avez vécue il y a 30 ans. Comment a-t-elle commencé ?

Je me trouvais trop grosse. Je pesais 53 kg pour 1 m 61. J’ai commencé un régime mais je n’ai pas su m’arrêter. Je voulais ressembler aux mannequins. À vingt ans, j’étais persuadée que les magazines mettaient beaucoup trop en valeur la minceur, entraînant des milliers de jeunes filles à faire un régime, et certaines jusqu’à la mort. Je le pense toujours et suis contre ce diktat des mannequins trop maigres. Il y a actuellement un véritable fléau avec les réseaux sociaux qui prônent un idéal de minceur. Les influenceuses, minces, ont de l’attention et des compliments. Les adolescentes cherchent à leur ressembler, au détriment de leur santé. L’anorexie touche de plus en plus de jeunes, principalement les filles. 

Par ailleurs, je me sentais inférieure, nulle, par rapport à un de mes frères qui préparait le concours de l’ENA. 

Avant d’être hospitalisée pour soigner et guérir cette maladie, comment avez-vous réagi et essayé, avec votre famille, de vous soigner par vous-même ?

J’étais dans le déni. Je ne me sentais pas malade. Plus je maigrissais, plus je me trouvais belle. Je m’adorais à 35 kg.  Je suis devenue l’ombre de moi-même, une façon de montrer que j’existais aussi. C’était mon défi. Mais au fur et à mesure, je ne m’intéressais plus à rien, n’avais plus d’amis. Je restais dans mon coin, j’avais tout le temps froid.

Mes parents m’ont emmené voir des médecins, un gynécologue, des psychologues mais je n’écoutais personne. Maman m’a aussi accompagnée à la maison des adolescents, voir un médecin spécialisé dans l’anorexie et demander si une hospitalisation de jour était possible.

Je suis descendue à 32 kg. Le gynécologue m’avait dit de ne pas descendre en dessous de 50 kg, pour ne pas avoir de soucis de santé… 

Mes parents étaient totalement démunis, ne savaient pas quoi faire pour me sauver. Un matin, n’ayant plus de forces, je suis tombée. J’ai dû être hospitalisée en urgence. 

Qu’est-ce qui vous a décidé, trente après, à raconter ce récit ?

Les TCA (Troubles des Conduites Alimentaires) concernent près d’un million de personnes en France (400 000 de plus qu’avant la Covid. C’est énorme !) : l’anorexie, la boulimie et l’hyperphagie boulimique. Ils sont la deuxième cause de mortalité chez les 14-25 ans, après les accidents de la route. J’ai eu envie de transmettre aux jeunes ma volonté de vivre, les sensibiliser aux TCA, et aussi aider les parents qui se sentent démunisface à leur enfant qui ne mange plus. Après le Covid, plusieurs mamans m’ont parlé de l’anorexie de leur enfant et demandé des conseils. Je me suis rendu compte du désarroi des parents face à la maladie de leur enfant, sur lequel ils n’avaient pas de prise. Je me suis sentie utile. La Covid a entrainé de l’anxiété, du stress, un repli sur soi pour plusieurs raisons : moins de sport, plus de cours à l’école, plus de vie sociale. A la fin de mon livre, j’ai mis un guide pratique pour trouver des informations, des conseils, de l’accompagnement. J’ai survécu à l’anorexie. Je suis une miraculée, un témoin. Ce livre est une thérapie, un lien essentiel d’expérience. Ce récit est une renaissance, un formidable message d’espoir.

Qu’est-ce qui vous a sauvée ? 

L’hospitalisation, les médecins, Brigitte Remy, pédopsychiatre spécialisé en TCA (qui a écrit la préface), le traitement, ma famille, les amis, la musique, en particulier Jean-Jacques Goldman, dont les paroles me soignent et qui m’a donné envie d’aller au bout de mes rêves en écrivant mon témoignage, les études, la lecture, l’écriture. 

Vous êtes mariée et mère de 3 enfants. Comment avez-vous abordé le sujet de l’anorexie avec vos enfants durant leur adolescence ?

J’ai peu parlé de l’anorexie avec mon mari et mes enfants. Ils ont découvert mon histoire, tout ce que j’ai vécu, dans mon livre, avec beaucoup d’émotions. Je leur ai expliqué ce qu’est l’anorexie, les conséquences, les complications, les séquelles. Je les encourage à parler, poser des questions, exprimer leurs sentiments ou leurs angoisses, à dire ce qui ne va pas, ne pas juger. Je parle de l’importance de l’estime de soi, la confiance en soi, le sport, l’alimentation équilibrée et régulière pour éviter le grignotage, d’être positif, profiter de chaque moment de la vie. Le mot « régime » est banni à la maison.

Quels messages souhaitez-vous partager aujourd’hui avec tous ceux qui sont victimes d’anorexie pour les aider à combattre et vaincre cette maladie ?

L’anorexie est une terrible et longue maladie. C’est un trouble complexe qui nécessite une approche multidisciplinaire. Il est essentiel de consulter un psychiatre ou un psychologue spécialisé dans les TCA, des professionnels, contacter les associations, participer à des groupes de parole. L’anorexie doit être traitée le plus tôt possible. Plus le trouble s’installe, plus les comportements alimentaires néfastes se renforcent et plus la personne aura du mal à s’en sortir. Dans les cas graves, une hospitalisation est nécessaire. Il est important de prendre soin de soi, par exemple avec la méditation, le yoga, l’écriture, la lecture, mais aussi d’impliquer l’entourage, informer les proches, les amis, et demander leur soutien, être patient, persévérant. La guérison est possible. Il faut trouver la force et la motivation pour combattre cette maladie et se rétablir. Mon objectif est maintenant d’intervenir dans les établissements scolaires, les hôpitaux, les médiathèques, les cinémas, pour sensibiliser les jeunes et les adultes sur les TCA, faire de la prévention. 

Pour lire « Faim de la vie, j’ai réduit l’anorexie en miettes » de Sophie Pigasse-Magnaud, cliquez sur les lien suivants : Vos Récits.com ou Decitre