Interview de Martin Lichtenberg qui publie « La Roche » , son premier roman, aux Editions Héloïse d’Ormesson

Martin Lichtenberg est né à Paris en 1996. Il a suivi des études de cinéma, avant d’écrire « La Roche » (Editions Héloïse d’Ormesson), son premier roman.

Il partage aujourd’hui sa vie entre la littérature, son travail de régisseur sur des tournages et son goût du voyage. 

Alalettre a souhaité mettre en lumière ce jeune auteur talentueux qui a trouvé un univers et une voix dès son premier roman. Nous vous parlerons plus longuement la semaine prochaine sur alalettre des aventures de Sol, Dael, Loo et la fouisseuse, des personnages combattifs et attachants qui vivent sur une île, La Roche,  « qui ne connaît qu’elle-même, dans un univers où il n’existe peut-être pas d’ailleurs ».

Comment vous est venue l’idée de ce roman ?

En fait c’est une idée que je traîne depuis mes premières années d’université. Elle m’est venue d’un ami dont les talents de pianiste m’avaient enchanté.
Je l’imaginais dans une gare, jouant sur un piano, ses notes accompagnant la course du train qui filait à l’horizon. Ce jeune homme rêvait d’embarquer à bord de ce train pour rallier un genre d’eldorado dont l’accès lui était refusé. Je trouvais cette image très belle, très poétique et j’étais décidé à en faire quelque chose.
Puis il y a eu l’influence du cinéma, des images fabriquées de toutes pièces qui ont le pouvoir de séduire et de mentir. Ce pianiste, qui est devenu Sol, rêvait de quitter un monde désolé pour en rejoindre un autre, mystérieux et inconnu, que lui vantaient des images projetées.
Voilà la genèse de La Roche. Le reste s’est ensuite dessiné naturellement autour de cette image. Les éléments sont venus graviter, les uns après les autres, pour créer un univers, une intrigue, des personnages… Mais chaque nouvelle idée était guidée par la volonté de créer quelque chose d’imaginaire, qui ferait rêver le lecteur, la lectrice, et moi-même. Quelque chose qui permettrait de s’échapper.

Martin Lichtenberg D.R


Comment s’est passée la genèse de sa rédaction ?

Je suis passionné de littérature depuis mon enfance et j’ai toujours eu une sensibilité particulière à l’écriture, à la langue française, aux mots… Mais je n’avais jamais considéré le fait d’écrire sérieusement. Après avoir commencé à travailler en tant que régisseur dans le cinéma, avoir pas mal voyagé et recommencé un master de cinéma, je me suis rapidement rendu compte que je n’étais pas satisfait. C’est là que j’ai décidé de mettre la littérature au centre de ma vie. Après quelques mois de rédaction de nouvelles, je me suis lancé dans La Roche.

Son écriture a été relativement complexe pour plusieurs raisons. D’abord parce que je ne me caractérise pas par ma rigueur, que j’aime faire énormément de choses et que j’ai eu vraiment du mal à trouver un rythme convenable (si tant est que je l’aie trouvé !). Puis il y a évidemment les problématiques financières qui ne m’ont pas permis de me consacrer totalement à La Roche, chaque tournage constituant une période de coupure presque totale avec l’œuvre. Et enfin les enjeux personnels, si je puis dire. Ce n’est pas évident de passer autant de temps à un travail dont on n’est absolument pas certain qu’il paiera. Je suis passé par plusieurs phases de doute, pas toujours très agréables. D’autant que je n’avais pas de réel plan d’alternative. Sur ce dernier point, j’ai conscience que j’ai eu beaucoup de chance et j’ai bénéficié de nombreux soutiens. J’espère qu’il en sera de même pour mes futurs romans !

 

Pouvez-vous nous parler de « La Roche » ?

Avec plaisir ! Avant d’être le titre de mon roman, la Roche est un monde imaginaire situé dans une temporalité non définie. Pour être même plus précis, c’est une île, désolée, dévitalisée et noyée dans un Océan qui s’étend à perte de vue ; une île qui ne connaît qu’elle-même, dans un univers où il n’existe peut-être pas d’ailleurs (l’histoire nous le dira !).

Sur cette île, vivent quelques milliers de personnes divisées en plusieurs groupes. Il y a les Rocheux, ceux qui rêvent de partir, de rejoindre cette fameuse « Capitale », un lieu dont on fait miroiter les beautés, mais que personne ne connaît et dont personne n’est revenu. Les Rocheux travaillent d’arrache-pied à l’extraction de la ressource précieuse, l’eau, qui manque cruellement sur l’île, dans l’espoir de se voir attribuer un droit d’accès au train qui mène à la Capitale. Les Rocailleux, a contrario, ont, il fut un temps, lutté contre la Garde, cette entité coercitive qui régule les départs et la redistribution de l’eau. Mais à l’époque du récit, ils ont cessé tout combat, ont sombré dans la débauche et se morfondent dans des abris de fortune qui gangrènent les littoraux de la Roche. Ce sont les deux castes majeures de la société rocheuse. Puis il y a les avant-gardiens, le bras armé de la Garde, qui font régner l’ordre sur l’île et œuvrent à préserver le contrôle qu’exerce la Garde. Les personnages principaux du récit incarnent le dernier pilier de la Roche. Ils n’entrent dans aucune catégorie, sont un peu comme des électrons libres, et luttent à leur manière contre la misère et la ruine de leur monde.

Il y a donc cet aspect d’aventure, avec une action qui (je l’espère !) tient en haleine, où l’on ne s’ennuie pas. Il y a aussi ce caractère science-fictionnel, à la fois dystopique et, d’une certaine façon, futuriste. Les parallèles possibles avec notre société sont nombreux, que ce soit en ce qui concerne les réflexions sur l’aliénation au travail, sur le fait que ce dernier érode les hommes et les femmes, rongent leur esprit critique et créatif ; les critiques politiques à travers la Garde et l’oppression douce qu’elle exerce sur ses citoyens en muselant justement leurs capacités de jugement ; le manque d’eau qui n’est évidemment pas anodin à une époque de troubles environnementaux sans précédent… Et j’en passe.

Présenté comme ça, ça a l’air assez pessimiste comme roman. Mais justement, pour moi, La Roche est avant tout un conte très humain où la beauté et la poésie sont perpétuellement présentes, en filigrane ou en évidence. Déjà dans sa forme, avec une langue à laquelle j’ai apporté beaucoup de soin, des mots qui virevoltent et que j’ai fait jouer entre eux (notamment avec Sol, qui est souvent narrateur), mais surtout dans mes personnages. J’ai créé Sol, Dael, Loo et la fouisseuse avec une attention très particulière, pour en faire des personnages forts et attachants. Ils n’ont de cesse de déceler la beauté et l’espoir dans les recoins les plus sombres de la Roche, établissent des relations que je crois à la fois humaines et émouvantes entre eux, et incarnent ce quelque chose de splendide qui pourrait manquer à leur monde.

Je pense, du fond du cœur, que malgré son caractère dystopique, La Roche est une très belle histoire, où l’art, la poésie, la création, l’humain, la sensibilité et l’amour sont hissés au rang royal.

Quels sont les auteurs de science-fiction qui vous ont marqué ?

A vrai dire, je ne suis ni expert ni fan de science-fiction. C’est un genre que j’affectionne comme beaucoup d’autres. Mais si je devais évoquer un auteur de science-fiction qui m’a marqué je choisirais Alain Damasio. Parce que son approche de la science-fiction reste extrêmement littéraire et poétique contrairement à beaucoup d’autres auteurs dont les démarches sont parfois trop scientifiques à mon goût. La Horde du Contrevent est un roman qui m’a beaucoup marqué et dont je me suis librement inspiré, notamment en ce qui concerne la liberté de la langue.

J’ai également aimé Ray Bradbury, Boualem Sansal ou encore Amélie Nothomb, mais peut-être plus pour leurs idées que pour leur style littéraire.

De manière générale, je ne dirais pas que je suis particulièrement inspiré par un.e auteur.trice ou un.e autre. Je pense que pioche à droite, à gauche, et que même des œuvres qui ne s’apparentent pas à la science-fiction peuvent insuffler de vraies pépites créatives !

Par ailleurs, je pense que, pour La Roche, le cinéma m’a bien plus inspiré que la littérature. Des artistes comme Jean-Pierre Jeunet, Terry Gilliam, Emir Kusturica et Stanley Kubrick (et tant d’autres) ont bien plus cimenté ce premier roman que tous les écrivain.e.s que j’ai pu lire.

Vous publiez votre premier roman. Que ressentez-vous ?

Je crois que je pourrais écrire un nouveau roman uniquement pour répondre à cette question. C’est un bonheur indicible, tout simplement. Probablement le plus beau de ma vie jusque-là.

Comme je l’évoquais précédemment, c’est un cheminement long qui n’a pas été facile et qui a été jalonné de doutes. Quand j’ai reçu le mail enthousiaste d’Héloïse d’Ormesson, tous ces doutes se sont volatilisés, ces trois années (la durée de rédaction de La Roche) ont été soudainement vues sous un prisme différent et tellement plus agréable, et j’ai eu le sentiment de prendre ma revanche sur toutes les difficultés que j’avais rencontrées. J’ai eu envie d’appeler tous mes contacts et de leur dire : « Tu vois, je t’avais dit que je pouvais le faire ». En fait, c’était à moi que j’avais envie de dire ça et c’était très doux à entendre.

Arrêter toute volonté de carrière, se contenter d’un boulot dans lequel on ne s’épanouit pas et qu’on fait à temps partiel pour se lancer dans un projet aussi bancal que celui d’écrire un livre, ce n’est pas évident dans notre société. Aujourd’hui, je peux dire que je suis écrivain, un luxe que je me refusais avant d’être publié. La route est encore longue avant que je me sente pleinement légitime, que j’en vive (si ça arrive un jour) mais c’est une première pierre à l’édifice et je dois dire qu’elle est extrêmement savoureuse.

Et puis j’ai la chance d’être publié par les éditions Héloïse d’Ormesson, d’être entouré par une équipe super qui croit en mon roman et qui se bat avec moi pour que son existence soit le plus faste possible.

Je vis une, si ce n’est la période la plus extraordinaire de ma vie. J’espère de tout cœur que ce bonheur durera pour La Roche et pour les autres romans que j’écrirai.

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