Les Contes de Véronique Renaudin

Véronique Renaudin est née le 5 novembre 1960

Mariée  4 enfants

juriste – fiscaliste

Véronique Renaudin nous propose 3 contes :

Maman veut du boulot
Titouf qui voulait être fort
Où sont passés les premiers de classe ?

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Maman veut du boulot

Maman est triste en ce moment,

Moi, Nathalie et les jumeaux avons bien remarqué que quelque chose n’allait pas dans la maison.

Maman a l’esprit ailleurs, elle est préoccupée.

Elle n’a plus envie de nous lire des histoires ou de jouer à cache-cache avec nous.

Finies les surprises.

Et ne parlons pas des dîners : niveau cantine ! ! !

Un soir, papa nous a expliqué que maman était triste car elle voulait retravailler et que c’était difficile de retrouver du travail quand on s’est arrêté longtemps.

 » Retravailler, quelle drôle d’idée !  » dit Jean l’un des jumeaux qui ne rêve que de grasses matinées et de soirées devant l’ordinateur.

Vous comprenez, pour nous le meilleur moment de la journée c’est la récré et le meilleur moment de la semaine, le weekend.

Le travail ça nous donne plutôt des boutons.

 » Et qui va s’occuper de nous ? » dirent les jumeaux qui étaient très contents d’avoir maman toujours près d’eux.

Pour lui faire passer cette idée, on a décidé d’être très gentils.

Tous les matins les chambres étaient rangées.

Nous étions habillés dès la sonnerie du réveil et les jumeaux ne se battaient plus.

Au dîner, nous étions sages. Finies les batailles de petits pois et les pieds sur la table ! Nous mangions de tout sans râler. Tout le monde débarrassait. Quel ennui !

C’était devenu si calme à la maison, mais maman ne semblait pas s’en apercevoir et les repas étaient vraiment de plus en plus ratés. La cuisine commençait à avoir un goût de conserves……

II

Un soir on s’est tous retrouvés en cachette dans la chambre de Nathalie et on a décidé que cela ne pouvait plus durer. Puisque maman voulait un travail, nous allions lui en trouver un !

Moi qui voulais être pompier, j’allai après la sortie de l’école à la caserne de pompiers.

 » Bonjour  » dis-je au pompier assis dans un camion

Celui-ci sourit à Paul car il avait l’habitude de voir les enfants traîner autour des engins. En revanche il fut un peu surpris quand il entendit Paul lui demander si il y avait ici un travail pour sa maman.

 » Ta maman veut être pompier ?  » demanda – t – il tout étonné.  » Mais regarde ! C’est dangereux comme métier  » et il lui expliqua en lui montrant ses biceps que pour être pompier il fallait être jeune, grand et très costaud et qu’il n’y avait pas de femmes pompier en général.

Je fus très déçu. J’aurais bien vu ma maman avec un casque conduire le camion.

 Nathalie qui voulait être maîtresse alla voir sa maîtresse et lui demanda si sa maman pouvait devenir une des maîtresses de l’école.

 » Maîtresse voilà une bonne idée ! C’est un très beau métier mais sais-tu qu’il faut passer un concours ? ». Nathalie n’y avait pas pensé. Cela compliquait les choses.

Jean alla voir son oncle qui était banquier et lui demanda si maman pouvait être banquière avec lui puisque maman avait travaillé-elle aussi dans un bureau quand elle était jeune.

 » Mais mon enfant ce n’est pas moi qui décide ici répondit-il de sa voix grave et je ne suis pas sûr que ta mère ferait une bonne banquière « .

Jean ne fut pas du tout content de cette réponse car à la maison c’est toujours sa maman qui s’occupait des questions d’argent. Papa lui, perdait toujours son portefeuille. A chaque fois maman était furieuse !

Lucien lui discuta avec l’épicier, celui qui lui donnait des petits bonbons en rentrant de l’école.

 » Sais-tu qu’il faut se réveiller au petit matin, dans la nuit pour aller chercher les légumes et les fruits frais. Avec autant d’enfants comment veux – tu qu’elle soit toujours prête ! Et qui s’occupera de vous si vous êtes malades ? « 

Lucien qui n’était jamais malade et rêvait de l’être trouvait que l’épicier ne faisait pas beaucoup d’efforts pour aider sa maman.

III

Les quatre enfants se réunirent le soir pour faire le bilan.

 » Ça ne marche pas  » dis-je

 » Il faut faire quelque chose d’autre  « 

 » Faisons une lettre  » proposa Lucien « Il faut informer tout le monde et il y aura bien quelqu’un qui voudra travailler avec notre maman  » .

Les enfants fabriquèrent une lettre sur laquelle on pouvait lire :

Monsieur, Madame

Ma Maman veut retravailler. Elle est très jolie et très gentille. Elle sait tout faire :

– écrire et compter,

– faire des câlins,

– faire réciter les leçons,

– imaginer des histoires tristes et drôles

– être très sévère,

– conduire la voiture,

– aller à la banque.

Elle fait très bien la cuisine et les meilleurs cakes du monde

Si vous voulez faire travailler notre maman téléphonez au 01 43 87 08 50 et demandez Paul.

Signatures : Paul, Nathalie et les jumeaux

Nathalie découpa une photo de sa maman dans l’album de famille et la colla en haut de la lettre. Maman était superbe en maillot de bain mais Nathalie ne prit que la tête.

Les enfants étaient tous émerveillés par cette lettre. C’était sûr, ils touchaient au but. 

Le lendemain, ils distribuèrent des exemplaires de cette lettre chez tous les commerçants, dans les bureaux et dans toutes les boîtes aux lettres du quartier.

Les gens du quartier commençaient à être tous très attendris par ces 4 petits bonshommes qui prenaient leur mission tellement à cœur et tout le monde réfléchissait au travail que l’on pourrait donner à cette maman si aimée.

IV

Le soir, je restais discrètement près du téléphone pour prendre les appels. Mais le téléphone ne sonna pas ce soir ni le lendemain.

Le surlendemain maman décrocha le téléphone. Un monsieur demandait à parler à Paul.

 » Bonjour Paul  » dit le monsieur au téléphone « j’ai bien reçu ta lettre et ta demande de travail. Je suis désolé de t’annoncer que je n’ai pas encore de vrai travail à donner à ta maman mais peut être qu’elle pourrait me rendre un service contre de l’argent « .

 » Tu vois, dans une semaine j’organise la fête annuelle de mon bureau et je souhaiterais que ta maman me fasse un certain nombre de cakes puisque ce sont les meilleurs cakes du monde « .

Je notais tout ce que me racontait le monsieur : le lieu, la date, le prix, la personne à contacter etc.

Le plus drôle, ce fut que juste un peu plus tard un autre monsieur demanda également à parler à Paul.

 » Bonjour Paul, j’ai bien reçu ta lettre, je n’ai pas vraiment de travail à donner à ta maman car je ne travaille plus moi-même mais je suis un très vieux monsieur très, très gourmand.

 » Je souhaiterais que chaque semaine ta maman me fasse un cake sucré et un cake salé car je reçois mes petits enfants tous les dimanches midi. Tu m’as bien dit que les cakes de ta maman étaient les meilleurs ! « 

Je notais la demande et le prix que le monsieur offrait de payer.

Juste après, une dame très excitée expliqua à Paul qu’elle travaillait jour et nuit qu’elle était débordée. Demain c’était l’anniversaire de son fils et elle voulait un énorme cake extraordinaire avec plein de smarties dessus et des pépites de chocolat dedans. Le prix n’avait pas d’importance.

Je notais l’adresse à laquelle il fallait livrer

Le téléphone n’arrêtait pas.

Tout le monde voulait des cakes ! C’était à croire qu’ils s’étaient tous donné le mot  » des cakes , des cakes ! « .

Des cakes à l’orange, au jambon, au chocolat aux amandes, aux olives, des cakes à 2 étages ou en forme de chaussure, des cakes pour Noël avec des surprises dedans, des cakes avec des oeufs dessus, des cakes qui vous donnent envie d’en reprendre.

C’était de la folie ces cakes !

Le plus dur fut d’aller expliquer tout ça à Maman…

Maman a souri et même un peu pleuré. C’était gagné ! Elle voulait bien les faire tous ces cakes.

Dans le quartier puis dans toute la ville maman est ainsi devenue la reine des cakes.

Nous n’avons plus jamais entendu parler de travail dans un bureau.

Papa a agrandi la cuisine et maman a ouvert un énorme compte en banque chez son frère le banquier qui n’a toujours pas compris comment on pouvait faire fortune avec des cakes.

Recette de mon cake préféré 

250g de farine

200g de beurre ramolli

200g de sucre

3 œufs

¾ d’un bol de raisins secs

1 cuillère à café de levure

1 zest de citron

Faire tremper la veille ou le matin les raisins secs dans du rhum et de l’eau

Mélanger ensemble avec un mixeur le beurre, le sucre, les œufs en entier, la farine, la levure, le zest de citron

Rajouter à la fin les raisins

Verser le mélange dans un moule à cake beurré

Cuire au four à 180° pendant 30 minutes environ (quand la pointe du couteau ressort sec le cake est prêt).

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Titouf qui voulait être fort

La maison de Titouf était perchée en haut d’une montagne après la vallée de Chimoneix.

Pour y aller, il fallait prendre à la sortie du village un petit chemin escarpé puis traverser la grande forêt de Fredeliane pendant quelques heures et enfin on débouchait sur une grande clairière. Là on pouvait apercevoir tout au fond la ferme des parents de Titouf.

Que le village était loin quand on était là haut ! Aussi Titouf restait généralement à la ferme pour aider ses parents.

Sa maman s’occupait de la ferme tandis que son papa travaillait dans la forêt de Fredeliane. Il était bûcheron.

Toute la journée la montagne résonnait des coups de haches de son papa, des grands coups puissants et répétés. Le soir le papa de Titouf lui racontait combien d’arbres il avait abattu dans la journée ou les animaux qu’il avait rencontré dans la forêt.

 » Moi aussi j’aimerai bien être bûcheron comme toi  » demanda Titouf à son papa.

 » Plus tard  » répondit le père. Tu es trop petit, tu n’es pas assez costaud pour l’instant. Continue donc à garder les bêtes de la ferme.

Mais Titouf s’ennuyait à garder les bêtes de la ferme : un cheval, trois chèvres, une vache, quatre poules, un chat et un chien sans compter les souris et les araignées du grenier. Vous parlez d’une compagnie ! !

Plus le temps passait, plus Titouf voulait aller dans la forêt.

 C’est là-bas dans la forêt que je veux aller. Pas aux champs pensait-il mais il se rappelait la phrase de son père :  » Pas assez costaud « .

  » Pas assez costaud, pas assez costaud  » ronchonna Titouf. Ce n’est pas vrai !  Et il tapa aussi fort qu’il le pouvait dans la pierre du chemin qui menait à la forêt.

 » Je suis fort, je suis le plus fort de la ferme !  » se persuadait Titouf en se gonflant la poitrine.

 » Je suis fort  » répète-t-il en marchant et cette phrase résonnait dans sa tête.

Pour se montrer qu’il avait raison Titouf courut au champs, se planta devant le cheval. Il le regarda droit dans les yeux et poussa un énorme cri .

 » HAAAAAAAAAAAAAAA « .

 » HiiiiiiIIIIIIIIIIIIIIIIIIII  » lui répondit bruyamment le cheval en dressant sa crinière et en regardant de sa hauteur ce petit bonhomme qui semblait vouloir lui dire quelque chose.

Tout abasourdi Titouf recula de trois pas.

 » Imbécile ! « dit-il au cheval.

Vexé que le cheval n’ait pas eu peur de lui il alla dans le champ voisin et cette fois ci, il se mit face à Mélanie la vache. Il l’attrapa par les oreilles et la regarda fixement dans ces gros yeux globuleux et poussa un  » CraAAAAAAAHHHHHHHH » aussi fort qu’il le put.

Immobile, Mélanie ruminait machinalement comme si de rien n’était. Tranquille, le temps passait pour elle. C’est à peine si elle l’avait vu ou entendu. Comme elle en avait assez qu’on lui touche les oreilles elle secoua la tête et se mit à mugir un MeuHHHHHHHHH ! assourdissant.

Titouf qui était un peu trop près de la vache sursauta et se boucha les oreilles. Sa tête résonnait tout entière de ce long meuglement.

 » Tu n’es qu’une vache !  »  lui dit-il avec mépris et il s’en alla.

Pour se donner un peu de courage Titouf partit rejoindre les chèvres.

 » Biquettes, biquettes regardez qui de nous est le plus fort : C’est moi Titouf, et il inspira un long coup pour lâcher un raAAAAAAAAHHHHHHH ! « très puissant .

 » BeHHHHH ! bEHHHHHH ! BEHHHHHH !  » lui répondirent en cœur les trois biquettes, agacées qu’on vienne ainsi les déranger dans leurs occupations .

 » Vous n’êtes que des chèvres ! Vous ne comprenez rien « . Les chèvres ne semblaient pas très embarrassées par cette remarque.

 » Ouafouaf !  » aboya le chien qui avait l’habitude de monter la garde.

 » Toi le chien reste à garder la maison  » ordonna Titouf qui n’avait même pas eu le temps de pousser son cri.

Les poules partirent pondre un œuf en caquetant de plus belle.

 » Miaouh ! Miaouh ! miaula le chat qui croyait que l’on voulait jouer avec lui.

Le courage de Titouf baissait. Personne, pas même une bête, n’avait eu peur de lui. Pasun d’entre eux n’avait compris combien Titouf avait envie d’être fort, combien Titouf voulait être fort pour ressembler à son papa.

Ce soir là, quand le papa de Titouf rentra à la maison il trouva son petit garçon qui pleurait dans son lit. Impossible de le faire parler tant il sanglotait, caché sous sa couverture. Enfin, après de longues discussions, de longues promesses de ne rien répéter même à Maman, Titouf finit par se confier.

 » Je ne serai jamais grand, je ne serai jamais costaud. Je ne pourrai jamais aller dans la forêt avec toi  » et il sanglotait de plus belle.

 » Ils se sont tous moqués de moi « .

 » Mais qui « ? demanda son père.

 » Les animaux. J’ai crié pour montrer que moi aussi j’étais fort et ils ont tous répondu plus fort que moi. J’ai trop mal à la tête « .

Le papa de Titouf comprit que son fils avait grandi et avait beaucoup de choses à lui raconter.

 » Viens avec moi, tu vas voir. Je sais, moi, que tu es plus fort que les animaux de la forêt et de la ferme. Habille-toi vite.

Titouf quitta rapidement son lit et on vit dans la nuit deux silhouettes qui marchaient en se donnant la main. La grande et la petite.

Après une bonne heure de marche ils arrivèrent au col ;

Là haut le papa et son petit garçon contemplèrent les montagnes. Dans la pénombre elles étaient bien impressionnantes mais Titouf les connaissait : à droite la montagne du Croc, à gauche celle du Grand Violet, un peu plus loin La Croix du Ciel et cachée dans le coin, le Pic de l’Enfer.

A perte de vue, les chaînes de montagnes s’étendaient.

 » Allez va- y ! « lui dit son papa.

Titouf regardait son père sans trop comprendre.

 » Allez, va-y si tu veux être le plus fort c’est le moment. Crie ! « 

Titouf inspira longuement et lâcha son cri le plus fort qu’il put.

Le silence se fit et tout d’un coup un roulement de tonnerre se fit entendre : c’était le cri de Titouf qui revenait vers lui.

On n’entendait plus que ça. Ce cri semblait rebondir de montagne en montagne voyelle par voyelle pour ne jamais s’arrêter de rugir. Les montagnes avaient pris possession de son cri et ne voulaient plus le rendre.

C’était l’écho qui conversait avec Titouf et le visage du petit garçon rayonnait de bonheur. Il ne se lassait pas d’entendre ces sons.

Un peu plus bas d’autres avaient aussi entendu ce cri.

Dans la ferme les animaux se regardaient et hochaient la tête. Ils avaient bien reconnu le cri de Titouf mais ce cri là était différent. C’était un cri qui n’en finissait pas.

Depuis ce jour Titouf accompagne chaque matin son papa dans la forêt. On lui a fabriqué une petite hache à sa taille et la forêt résonne maintenant des coups longs et forts de son papa et des coups plus légers de Titouf.

L’après-midi Titouf va quand même garder les bêtes dans les champs mais maintenant plus personne ne se moque du petit garçon.

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Où sont passés les premiers de classe ?

Ils avaient tous disparu les uns après les autres.

Depuis 2 mois, les premiers de classe s’étaient évanouis dans la nature et plus personne ne voulait travailler, de peur de disparaître à son tour.

Les parents s’arrachaient les cheveux devant les carnets de notes désespérément mauvais de leurs enfants, les professeurs s’ennuyaient au tableau, les derniers de classe avaient tout d’un coup beaucoup d’amis. Tout marchait à l’envers.

Tout avait commencé au début de l’automne quand Guymette la sorcière avait découvert, dans le fond d’une vieille malle, le vieux grimoire de sa grand-mère dans lequel étaient inscrites toutes les recettes de cuisine de son enfance.

Ah ! cette confiture de crapauds amers, ce gâteau de salade bouilli, cette soupe d’araignées aux fleurs de roses. cette crème de liqueur de vipères MMMIAM ! ! !

Guymette savourait à l’avance le plaisir de redéguster ces délices.

Elle se voyait déjà au fourneau, la cuillère à la main tournant et retournant la confiture, invitant ses bonnes amies à un extraordinaire goûter……

Mais quelle ne fut sa colère quand elle se souvint qu’elle n’avait jamais appris à lire et qu’elle ne savait faire que des tours de magie.

Furieuse, Guymette jeta le grimoire par terre et commença à le piétiner avec ses bottines noires.

Elle allait le déchirer de colère quand une drôle d’idée traversa sa cervelle de sorcière : L’école du village….. et ses si bons élèves… Pour une fois ils allaient lui servir à quelque chose.

Guymette enfourcha son balai. A 100 mètres de l’école elle cacha son balai et ses vieux habits dans un bosquet puis attendit la sortie des classes.

 » Bonjour  » dit-elle au premier petit enfant qu’elle vit.   » Peux-tu m’indiquer le premier de la classe ?  » 

 » C’est Alphonse le petit au gros cartable et aux lunettes qui parle avec le professeur  » lui répondit-il.

Guymette attendit quelques instants et aborda Alphonse dès que celui-ci fut seul.

 » Alphonse ! Je suis la fée du savoir et je t’invite à venir découvrir chez moi le manuscrit des sciences exactes « .

Alphonse, qui n’avait jamais lu de contes de fées ni d’histoires de sorcières, ne se méfia pas d’elle et accepta tout de suite de la suivre.

Arrivés à la maison de la sorcière, Guymette reprit sa véritable apparence. Elle se précipita sur son grimoire et ordonna à Alphonse de le lire tandis qu’elle allumait son fourneau et sortait ses casseroles.

« Allez, lis » dit Guymette au petit garçon.

Alphonse paralysé par la transformation de la fausse fée, par le désordre qui régnait partout dans la maison, les araignées, le chat noir et le corbeau qui le regardaient, se mit à trembler de tous ses membres.

Ou était-il ?

Dès qu’il voulut ouvrir la bouche il se mit à bredouiller et à pleurer. Impossible de lui tirer la moindre parole intelligible.

C’était horrible pour Alphonse et…… Guymette était furieuse devant cet enfant terrifié qui ne comprenait rien et ne pouvait lui déchiffrer ses fameuses recettes.

Enfin qui lui lirait la recette de confiture de crapauds ? Et dire qu’elle voulait épater ses amies avec son fameux goûter!

De rage, elle partit en claquant la porte laissant Alphonse terrorisé avec le corbeau, le chat et les araignées….. .

Elle arriva bientôt à une deuxième école où là, un drôle de petit garçon lui désigna pour meilleure élève une fillette avec des nattes bien raides et un vilain tablier serré jusqu’en haut du cou et au bas des genoux. Elle s’appelait Suzie.

 » Suzie, Suzie je suis la fée des premiers de classe et je t’invite à venir chercher le stylo magique que tu mérites pour les si bonnes notes que tu offres à tes parents « .

Flattée, et n’ayant jamais lu elle non plus ni de contes de fées ni d’histoires de sorcières, Suzie suivit Guymette dans sa maison.

Quelle ne fut pas sa stupéfaction là-bas de voir que les sorcières existaient réellement et que Guymette devait bien en être une.

 » Lis « ordonna Guymette à Suzie en allant rallumer son fourneau et en sortant quelques crapauds confits de ses bocaux bien sales.

Malgré sa peur, Suzie essuya la première page du vieux grimoire et se mit en tremblotant à déchiffrer les premières instructions de la recette.

Confiture de crapauds amers

 » Faites tremper dans de l’eau de vaisselle 8 crapauds de taille moyenne dont vous aurez préalablement arraché la peau. 

 » Y Rajouter les yeux de 3 chats rouges et la tête d’une poule.. « 

A ces mots Suzie se mit alors à se sentir mal et à vomir partout sur son sinistre tablier. Les crapauds lui donnaient le dégout, sa tête tournait, tournait.

Hurlant devant cette mijaurée qui ne connaissait rien aux bonnes choses, Guymette lui arracha le grimoire avant qu’elle ne le salisse et claqua la porte en laissant Suzie avec le chat, les araignées, le corbeau, les crapauds……..

Vous en doutez Guymette n’eut pas plus de succès avec les autres enfants.

¨ Le troisième trébucha en rentrant et marcha sur ses lunettes.

¨ Le quatrième refusa de lire en affirmant que puisque les sorcières n’existaient pas il ne perdrait pas son temps à de telles balivernes.

¨ Le cinquième réclama sa maman.

¨ Le sixième lui demanda une calculette.

¨ Le septième voulait faire ses devoirs en premier.

¨ Le huitième lui donna la migraine avec des histoires de fautes d’orthographe.

Les jours passèrent.

Guymette, désespérée par ses premiers de classes qui ne lui servaient à rien, décommanda le goûter avec ses amies.

Elle partit tristement dans la campagne chercher quelques serpents verts pour son dîner.

Alors qu’elle s’était assise sur un talus, pensant à son adorable sorcière de grand-mère et à sa confiture, elle croisa Benjamin qui revenait de l’école.

 » Bonjour lui dit gentiment Benjamin ! Que fais-tu là à rêver ? »

 » Tu es triste ? « lui demanda-t-il.

La sorcière regarda ce petit bonhomme attentivement et tout d’un coup lui demanda s’il était premier de classe et s’il savait bien lire… même les vieilles choses.

En l’entendant, Benjamin se mit à se tordre de rire car c’était bien la première fois qu’on lui demandait s’il était premier de classe, lui qui était toujours le dernier.

Jamais il ne ramenait de bonnes notes à sa maman sauf en dessin mais ce n’était pas si grave lui avait dit sa maman.

 » Tu seras un grand artiste plus tard  » lui avait-elle expliqué.

Sa maman avait aussi raconté au professeur de Benjamin que le papa de Benjamin s’était tué au travail et qu’il s’était endormi pour toujours au bureau sur ses dossiers. Depuis ce jour il fallait surtout laisser Benjamin grandir en paix.

Benjamin n’avait pas tout compris mais depuis, en classe, il faisait surtout des dessins pour sa maman.

 » Je ne suis pas premier de classe mais je sais lire. Il n’y a pas besoin d’être premier de classe pour lire  » répondit Benjamin en riant à la sorcière.

 » Veux-tu alors lire pour moi lui demanda Guymette  » ?

Benjamin suivit la sorcière chez elle.

Il avait lui tout de suite reconnu que Guymette était une sorcière car cela faisait longtemps qu’il lisait des tas d’histoires de sorcières et de fées.

Il n’en avait pas peur car il savait que généralement les sorcières sont très drôles et très gentilles même si leur tenue laisse à désirer et que l’intérieur de leur maison est un sacré capharnaüm.

Benjamin expliqua à la sorcière qu’il fallait commencer par libérer tous les premiers de classe enfermés chez elle car ils étaient incapables de comprendre des histoires et des recettes de sorcières. Qu’ils seraient beaucoup plus heureux et utiles à l’école à lire des livres de classe.

Ensuite, tous les deux se mirent en cuisine.

En regardant par la fenêtre on pouvait voir Guymette au fourneau avec ses plus belles casseroles et Benjamin perché sur la table entre 2 bocaux de serpents et de grenouilles qui lui faisait la lecture de sa recette en rigolant.

 » Quelle horreur, cette recette !  » pensait-il sans le lui dire pour ne pas la chagriner.

Depuis ce jour chaque mercredi Benjamin vient lire une nouvelle recette à Guymette. En échange, elle accepte de lui servir de modèle pour ses dessins.

Malgré toute la tendresse qu’il porte à sa nouvelle amie, Benjamin n’a jamais voulu goûter à la confiture de crapauds amers.