Quelques poèmes de Joachim du Bellay

Lien vers l’auteur

Quand la fureur, qui bat …   ( tiré de  L’Olive – 1549)

Quand la fureur, qui bat les grands coupeaux,
Hors de mon coeur l’Olive arrachera,
Avec le chien le loup se couchera,
Fidèle garde aux timides troupeaux.

Le ciel, qui voit avec tant de flambeaux,
Le violent de son cours cessera.
Le feu sans chaud et sans clarté sera,
Obscur le rond des deux astres plus beaux.

Tous animaux changeront de séjour
L’un avec l’autre, et au plus clair du jour
Ressemblera la nuit humide et sombre,

Des prés seront semblables les couleurs,
La mer sans eau, et les forêts sans ombre,
Et sans odeur les roses et les fleurs.

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage ( tiré des Regrets – 1558)

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas ! de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux :
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine,

Plus mon Loire Gaulois que le Tibre Latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur Angevine.

France, mère des arts, des armes et des lois ( tiré des Regrets – 1558)

France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m’as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.

Si tu m’as pour enfant avoué quelquefois,
Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?
France, France, réponds à ma triste querelle.
Mais nul, sinon Écho, ne répond à ma voix.

Entre les loups cruels j’erre parmi la plaine,
Je sens venir l’hiver, de qui la froide haleine
D’une tremblante horreur fait hérisser ma peau.

Las, tes autres agneaux n’ont faute de pâture,
Ils ne craignent le loup, le vent, ni la froidure :
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.

Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome… ( tiré des Antiquités de Rome )

Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome
Et rien de Rome en Rome n’aperçois,
Ces vieux palais, ces vieux arcs que tu vois,
Et ces vieux murs, c’est ce que Rome on nomme.

Vois quel orgueil, quelle ruine : et comme
Celle qui mit le monde sous ses lois,
Pour dompter tout, se dompta quelquefois,
Et devint proie au temps, qui tout consomme.

Rome de Rome est le seul monument,
Et Rome Rome a vaincu seulement.
Le Tibre seul, qui vers la mer s’enfuit,

Reste de Rome. O mondaine inconstance !
Ce qui est ferme, est par le temps détruit,
Et ce qui fuit, au temps fait résistance.