Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre

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Résumé du roman

Dans une plaine intérieure de l’Ile de France (la future île Maurice), le narrateur découvre les ruines de deux petites cabanes. Il rencontre un vieillard venant « à passer aux environs » et lui adresse la parole :  » Mon père, lui dis-je, pourriez-vous m’apprendre à qui ont appartenu ces deux cabanes ? » Le vieil homme, à la fois conteur, témoin de ce paradis perdu, et unique survivant va lui conter l’histoire de Paul et Virginie :  » Mon fils, ces masures et ce terrain inculte étaient habités, il y a environ vingt ans, par deux familles qui y avaient trouvé le bonheur. »

Deux françaises, Mme de la Tour, la jeune veuve d’un aristocrate libertin, et Marguerite, une paysanne bretonne séduite et abandonnée ont fui la métropole et sont venus cacher leur déshonneur dans cette colonie française.

Elles mettent au monde, vers 1726, Virginie et Paul. Mme de la Tour, avec sa fille Virginie, et Marguerite, avec son fils Paul, sont aidées par un couple de noirs, Marie et Domingue. Les deux femmes unissent leur détresse et leur pauvreté et exploitent la terre. Leurs deux enfants grandissent comme frère et sœur : « Ainsi ces deux petits enfants, privés de tous leurs parents, se remplissaient de sentiments plus tendres que ceux de fils et de fille, de frère et de sœur, quand ils venaient à être changés de mamelles par les deux amies qui leur avaient donné le jour ».

Les deux mères et leurs deux enfants goûtent sur cette île un bonheur simple qui semble vouloir effacer leurs malheurs passés.  » Chaque jour était pour ces familles un jour de bonheur et de paix. Ni l’envie ni l’ambition ne les tourmentaient. Elles ne désiraient point au-dehors une vaine réputation que donne l’intrigue, et qu’ôte la calomnie; il leur suffisait d’être à elles-mêmes leurs témoins et leurs juges. « 

Cette petite communauté connaît une existence paisible dans la splendeur des paysages tropicaux. Paul et Virginie grandissent en parfaite harmonie avec la nature. Ils sont vertueux et candides : leur innocence les préserve du mal tant en actes qu’en pensée. Seule une lettre de la tante de la Mme de la Tour vient, en 1738, troubler momentanément leur bonheur. Cette lettre, en provenance de France, que la mère de Virginie espérait depuis plus de dix ans, ne contient que reproches et leçons de morale. Heureusement le trouble qu’elle provoque ne semble être que passager : « Ainsi ils continuèrent tous d’être heureux et ce ne fut qu’un orage au milieu d’une belle saison.« 

Paul et Virginie grandissent , et c’est là qu’apparaît « le mal » de Virginie : « Cependant depuis quelque temps Virginie se sentait agitée d’un mal inconnu. Ses beaux yeux bleus se marbraient de noir ; son teint jaunissait; une langueur universelle abattait son corps. La sérénité n’était plus sur son front, ni le sourire sur lèvres. On la voyait tout à coup gaie sans joie, et triste sans chagrin. Elle fuyait ses jeux innocents, ses doux travaux, et la société de sa famille bien-aimée. »

Virginie est devenue adolescente, et elle découvre que ses sentiments pour Paul changent de nature. Il n’avait été jusqu’alors qu’un frère avec lequel elle partageait ses joies et ses jeux. Elle devine que la tendresse qu’elle éprouve pour lui se transforme en amour et elle l’imagine comme compagnon et comme époux. Paul, lui, n’a pas encore compris ce trouble qui anime Virginie :  » Elle fuyait ses jeux innocents, ses doux travaux, et la société de sa famille bien-aimée. Elle errait çà et là dans les lieux les plus solitaires de l’habitation, cherchant partout du repos, et ne le trouvant nulle part. Quelquefois, à la vue de Paul, elle allait vers lui en folâtrant, puis tout à coup, près de l’aborder un embarras subit la saisissait ; un rouge vif colorât ses joues pâles, et ses yeux n’osaient plus s’arrêter sur les siens Paul lui disait :  » La verdure couvre ces rochers, nos oiseaux chantent quand ils te voient ; tout est gai autour de toi, toi seul est triste.  » Et il cherchait à la ranimer en l’embrassant ; mais elle détournait la tête, et fuyait tremblante vers sa mère. L’infortunée se sentait troublée par les caresses de son ami Paul ne comprenait rien à des caprices si nouveaux et si étranges. « 

Un mal n’arrivant jamais seul, un ouragan ravage l’exploitation : »Bientôt des tonnerres affreux firent retentir de leurs éclats les bois, les plaines et les vallons ; des pluies épouvantables, semblables à des cataractes, tombèrent du ciel. »

Puis lorsque la pluie cesse et que les vents reprennent leur cours ordinaire Paul et Virginie constatent l’étendue de la dévastation : À la vue de cette désolation, Virginie dit à Paul :  » vous aviez apporté ici des oiseaux, l’ouragan les a tués. Vous aviez planté ce jardin, il est détruit. Tout périt sur la terre ; il n’y a que le ciel qui ne change point.  » Paul lui répondit :  » Que ne puis-je vous donner quelque chose du ciel ! Mais je ne possède rien, même sur la terre.  » Virginie reprit, en rougissant :  » vous avez à vous le portrait de saint Paul.  » À peine eut-elle parlé qu’il courut le chercher dans la case de sa mère. »

Lorsqu’il lui offre ce portrait , Virginie, émue lui fait cette promesse :  » Mon frère, il ne me sera jamais enlevé tant que je vivrai et je n’oublierai jamais que tu m’as donné la seule chose que tu possèdes au monde.  » À ce ton d’amitié, à ce retour inespéré de familiarité et de tendresse, Paul voulut l’embrasser ; mais aussi légère qu’un oiseau elle lui échappa, et le laissa hors de lui, ne concevant rien à une conduite si extraordinaire.

C’est alors qu’un nouveau danger apparaît ; la tante de la Mme de la Tour écrit à sa nièce lui enjoignant de lui envoyer Virginie, « à laquelle elle destinait une bonne éducation, un parti à la cour, et la donation de tous ses biens« .

Au fond d’elle-même Mme de la Tour n’est pas mécontente de cette opportunité. Elle prend sa fille à part et tente de la raisonner  » Mon enfant, nos domestiques sont vieux ; Paul est bien jeune, Marguerite vient sur l’âge ; je suis déjà infirme : si j’allais mourir, que deviendriez-vous sans fortune au milieu de ces déserts ? vous resteriez donc seule, n’ayant personne qui puisse vous être d’un grand secours, et obligée, pour vivre, de travailler sans cesse à la terre comme une mercenaire. Cette idée me pénètre de douleur  »

Voyant la peine que cette séparation vaudrait à Virginie, Mme de la Tour est prête à se résoudre, mais le gouverneur de l’Ile vient forcer le destin. Il envoie un prêtre qui a pour mission de convaincre à la fois la mère et la fille.

Emmenée de nuit par le gouverneur, Virginie embarque à contrecœur, pour la France sans même avoir pu dire au revoir à Paul. La séparation est douloureuse. Paul, pour la première fois de son existence, explose de colère. Il va se plaindre aux arbres, aux rochers et aux oiseaux. C’est comme si on avait arraché la fleur du bonheur qui poussait naturellement dans son cœur. Pour atténuer la séparation et pouvoir correspondre avec Virginie , il apprend à lire et à écrire. « Il voulut ensuite s’instruire dans la géographie pour se faire une idée du pays où elle débarquerait ; et dans l’histoire, pour connaître les mœurs de la société où elle allait vivre. »

Virginie est elle aussi désespérée d’abandonner Paul. Loin de se réjouir de cette fortune que sa tante désire lui léguer, elle souffre de cette vie européenne à laquelle elle ne parvient pas à s’adapter. Pendant plus d’un an Paul et Virginie restent sans nouvelles l’un de l’autre, les lettres qu’ils s’échangent , étant interceptées par la grand-tante de Virginie. Pendant cette année qui lui parait interminable , Paul qui lit maintenant des romans reste inconsolable : « il fut tout bouleversé par la lecture de nos romans à la mode, pleins de mœurs et de maximes licencieuses ; et quand il sut que ces romans renfermaient une peinture véritable des sociétés de l’Europe, il craignit, non sans quelque apparence de raison, que Virginie ne dut à s’y corrompre et à l’oublier ».

Virginie, par des moyens détournés parvient enfin à faire parvenir à sa mère une première lettre. Mme de la Tour découvre combien sa fille est malheureuse en métropole. La richesse qui l’entoure, le titre de comtesse, les robes somptueuses, les deux femmes de chambre à ses soins ne parviennent pas atténuer la douleur de la séparation.

Et quand la grand-tante se met en tête de marier Virginie, celle-ci préfère être déshéritée et chassée de France. Elle ne pense plus dès lors qu’à Paul et au retour.

On annonce son retour imminent. Sur le chemin du retour, au moment d’aborder son île natale, le Saint-Géran est pris dans la tempête. Le bateau qui la ramène à l’île de France fait naufrage sous les yeux de Paul. Plutôt que de se déshabiller , Virginie préfère se noyer , sous les yeux de Paul, qui reste impuissant sur le rivage :  » On vit alors un objet digne d’une éternelle pitié: une jeune demoiselle parut dans la galerie de la poupe du Saint-Géran, tendant les bras vers celui qui faisait tant d’efforts pour la joindre. C’était Virginie. Elle avait reconnu son amant à son intrépidité. La vue de cette aimable personne, exposée à un si terrible danger, nous remplit de douleur et de désespoir pour Virginie, d’un port noble et assuré, elle nous faisait signe de la main, comme nous disant un éternel adieu.

Tous les matelots s’étaient jetés à la mer Il n’en restait plus qu’un sur le pont, qui était tout nu et nerveux comme Hercule.

Il s’approcha de Virginie avec respect : nous le vîmes se jeter à ses genoux, et s’efforcer même de lui ôter ses habits ; mais elle, le repoussant avec dignité, détourna de lui sa vue. On entendit aussitôt ces cris redoublés des spectateurs :  » Sauvez la, sauvez la ; ne la quittez pas !  » Mais dans ce moment une montagne d’eau d’une effroyable grandeur s’engouffra entre l’île d’Ambre et la côte, et s’avança en rugissant vers le vaisseau, qu’elle menaçait de ses flancs noirs et de ses sommets écumants. À cette terrible vue le matelot s’élança seul à la mer ; et Virginie, voyant la mort inévitable, posa une main sur ses habits, l’autre sur son coeur et levant en haut des yeux sereins, parut un ange qui prend son vol vers les cieux. »

Le vieillard entreprend de consoler le jeune homme. Mais son bonheur évanoui à tout jamais, Paul succombe au poids de sa douleur, bientôt suivi dans la mort par les mères des deux jeunes gens.

1788

C’est en 1788 que Bernardin de Saint-Pierre publie Paul et Virginie. Ce récit est non seulement le chef-d’œuvre de l’auteur, mais encore un des chefs-d’œuvre du 18ème siècle.

Ce récit est paru dans la troisième édition des œuvres de la Nature

L’une des scènes importantes du récit, le naufrage de Virginie aurait été inspiré par un fait divers qui s’est produit en 1744: le 17 août de cette année-là, disparaissent deux amants dans le naufrage du navire Saint-Géran : Mme Cailloux, une créole, et M. Longchamps de Montendre, enseigne de vaisseau .

Quelques citations de Paul et Virginie

 » Ainsi croissaient ces deux enfants de la nature. Aucun souci n’avait ridé leur front, aucune intempérance n’avait corrompu leur sang, aucune passion malheureuse n’avait dépravé leur cœur : l’amour, l’innocence, la piété, développaient chaque jour la beauté de leur âme en grâces ineffables, dans leurs traits, leurs attitudes et leurs mouvements « .

 » On la voyait tout à coup gaie sans joie, et triste sans chagrin. « 

 » On ne fait son bonheur, disait-elle, qu’en s’occupant de celui des autres. « 

Quelques jugements sur  Paul et Virginie

Il est certain que le charme de Paul et Virginie consiste en une certaine morale mélancolique qui brille dans l’ouvrage, et qu’on pourrait comparer à cet éclat uniforme que la lune répand sur une solitude parée de fleurs. Or, quiconque a médité l’évangile doit convenir que ces préceptes divins ont précisément ce caractère triste et tendre. Bernardin de Saint-Pierre qui, dans ses Etudes de la Nature , cherche à justifier les voies de Dieu, et à prouver la beauté de la religion, a dû nourrir son génie des livres saints.

Chateaubriand, Le Génie du Christianisme, 1802

Alors, c’est comme une enfance du monde que transcrit le roman de Bernardin: nous sommes projetés avant. Avant le désir, dans la simple satisfaction du besoin; avant l’accumulation, dans la simple production de l’autarcie; avant la sophistication, dans le simple appareil de la frugalité; et aussi avant la sexuation, dans l’indistinction des êtres; avant l’individuation; dans l’échange des propriétés ; avant la faute, dans l’innocence ; avant la parole, dans la manifestation; avant la pensée, dans l’évidence; avant les cultures dans la compénétration des modèles de la beauté. Avant la catastrophe , dans l’enfouissement en Dieu. Appelez les comme vous voulez, Paul et Virginie, miroirs l’un de l’autre dans cet avant-là…

Jean Delabroy, Préface de Paul et Virginie , Pocket

Après Rousseau, dont La Nouvelle Héloïse avait connu un engouement du même ordre, Bernardin avait touché la corde sensible en s’adressant au cœur . Son roman marque le point d’aboutissement littéraire , il est le résultat fatal d’une évolution qui, depuis l’abbé Prévost, s’efforce de substituer à l’esthétique classique , une esthétique dont la sensibilité est l’élément essentiel.

P. Trahard, Editions Garnier, 1958

Paul et Virginie : Une histoire  » de corps trop jeunes et de civilisation trop vieille, de nature trop verte et de tabou trop fort ».

 Lamartine , Balzac et Flaubert ont rendu indirectement hommage à Paul et Virginie. En effet, trois de leurs héroïnes, Graziella (Graziella, 1849), Véronique ( le Médecin de Campagne, 1833) et Emma Bovary ( Madame Bovary , 1856) apparaissent chacune penchée sur ce roman de Bernardin de Saint-Pierre.