Raymond Radiguet

Introduction

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« Raymond Radiguet partage avec Arthur Rimbaud le terrible privilège d’être un phénomène des lettres françaises. » Jean Cocteau

« Il était petit, pâle, myope, ses cheveux mal coupés pendaient sur son col et lui faisaient des favoris. Il grimaçait comme au soleil. Il sautillait dans sa démarche. On eût dit que les trottoirs lui étaient élastiques. Il tirait de ses poches les petites feuilles de cahier d’écolier qu’il y enfonçait en boule. Il les déchiffonnait du plat de la main et, gêné par une des cigarettes qu’il roulait lui-même, essayait de lire un poème très court. Il le collait contre son œil. »

C’est en ces termes que Cocteau se souvient de Raymond Radiguet. L’enfant prodige de la littérature,  » Monsieur Bébé  » comme le surnommaient ses amis, a vécu ce que vivent les roses, mais il a eu le temps de composer un recueil de poèmes, Les Joues en feu (1920), et un chef-d’œuvre devenu classique, Le Diable au corps (1923). Le 12 décembre 1923, il meurt de la typhoïde, sans avoir pu revoir les épreuves du Bal du comte d’Orgel, son second roman.

 » On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans  » écrira Rimbaud. Raymond Radiguet, à qui on le compare souvent, sans doute en raison de leur égale précocité, lui, à dix-sept ans, prend déjà ses distances avec les dadaïstes (Tristan Tzara, André Breton), qu’il fréquente depuis un an. Il fonde la revue Le Coq avec Cocteau, Satie et Poulenc, écrit une comédie, Les Pélican, et rédige, toujours avec Cocteau, le livret de Paul et Virginie, opéra-comique, dont Satie aurait dû composer la musique. Enfin, il publie Les Joues en feu, son recueil de poèmes.

Raymond Radiguet est bien un prodige, et s’il doit une partie de son succès à Cocteau, son maître et ami, la postérité a prouvé que Cocteau ne s’était pas trompé. Raymond Radiguet est une étoile filante de la littérature des années 1920, mais il a durablement influencé celle-ci, en prônant, au milieu de l’effervescence créatrice de ces années d’après-guerre, le retour à une écriture classique, dont Le Diable au corps est la magnifique illustration, et qui, par sa rigueur et sa simplicité laisse voir que son auteur a lu et apprécié les génies du siècle de Louis XIV.  » Efforcez-vous d’être banal  » déclare Radiguet dans un article intitulé  » Conseils aux grands poètes « . Cette injonction est surtout une mise en garde contre les dérives dadaïstes, mais aussi la revendication d’un certain naturel, celui des classiques.

« Je vais encourir bien des reproches. Mais qu’y puis-je ? Est-ce ma faute si j’eus douze ans quelques mois avant la déclaration de la guerre ? […] Que ceux déjà qui m’en veulent se représentent ce que fut la guerre pour tant de très jeunes garçons : quatre ans de grandes vacances ».

Ainsi commence Le Diable au corps, et l’on comprend ce qui a pu irriter certains lecteurs de l’époque, et générer le parfum de scandale qui a entouré la sortie du roman, le premier roman d’un enfant prodige de dix-sept ans, qui raconte l’histoire d’amour d’un jeune homme et d’une jeune femme dont le mari est à la guerre, au front. Radiguet, le jour de la sortie du livre, le 10 mars 1923, fait paraître un article dans les colonnes des Nouvelles littéraires. Il y revendique le droit à l’écriture pour la jeunesse.

« C’est un lieu commun, écrit-il, par conséquent, une vérité et point négligeable, que pour écrire il faut avoir vécu. Mais ce que je voudrais savoir, c’est à quel âge on a le droit de dire :  » J’ai vécu. » […] C’est, si l’on y pense un peu, bien du mépris pour les jeunes gens, que de s’étonner parce que l’un d’eux écrit un roman. »

Plus loin, il se défend d’avoir écrit une autobiographie, et livre in extremis une petite leçon de littérature à ses détracteurs :

 » Mais pour le héros du Diable au corps (que malgré l’emploi du  » je  » il ne faudrait pas confondre avec l’auteur), son drame est ailleurs. Ce drame naît davantage des circonstances que du héros lui-même. On y voit la liberté, le désœuvrement, dus à la guerre, façonner un jeune garçon et tuer une jeune femme. Ce petit roman d’amour n’est pas une confession, et surtout au moment où il semble davantage en être une. C’est un travers trop humain de ne croire qu’à la sincérité de celui qui s’accuse ; or, le roman exigeant un relief qui se trouve rarement dans la vie, il est naturel que ce soit justement une fausse autobiographie qui semble la plus vraie. « 

Il faut lire, ou relire, Le Diable au corps. Ce court roman,  » fausse autobiographie  » qui emprunte à la vraie vie de Radiguet, entrepris en 1919 et achevé cinq années plus tard, est un magnifique roman d’amour tragique doublé d’un témoignage surprenant sur la guerre de 14-18 vue par les yeux d’un jeune garçon. C’est aussi, et surtout, un chef-d’œuvre d’intelligence, de naturel et de grâce.

Mais il faut également se plonger dans Le Bal du comte d’Orgel, la dernière œuvre de Radiguet, publiée en 1924, car dans ce roman, qu’on a souvent rapproché de La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette pour sa profondeur dans l’analyse psychologique, on retrouve le classicisme exacerbé de Radiguet, tempéré par l’expérience sereine de Cocteau, qui, après la mort du jeune homme, a participé aux corrections des épreuves devenues orphelines.

A propos de Raymond Radiguet, Cocteau écrit, dans un article intitulé  » Cet élève qui devint mon maître « , (publié dans Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques le 5 juin 1952) :

« Il est une plante qui parle, en quelque sorte. Dans Le Diable au corps, cette plante raconte le mystère de ses racines. Dans Le Bal du comte d’Orgel, cette plante donne sa fleur, et son parfum est parole. »

Clemence Camon

Analyse du Diable au Corps par Clémence Camon

Biographie

1903  naissance, le 18 juin, de Raymond Radiguet, à Saint-Maur, près de Paris. Il est l’aîné de sept enfants, son père, Maurice Radiguet est un caricaturiste réputé.
1909  Radiguet entre à l’école communale de Saint-Maur, il est très bon élève.
1913  Il quitte l’école communale de Saint-Maur pour entrer au lycée Charlemagne à Paris, en tant que boursier. Il lit beaucoup et compose ses premiers poèmes. Le 13 juillet, il assiste à la crise de folie et au suicide de la bonne qui est employée dans la maison voisine de celle de ses parents, à Saint-Maur. Cet épisode très marquant sera exploité dans Le Diable au corps.
1914  Les résultats scolaires de Radiguet laissent à désirer. Il fait l’école buissonnière mais dévore les livres de la bibliothèque familiale.
28 juillet : début de la Première Guerre mondiale.
1917  En avril, Raymond rencontre Alice, une voisine des Radiguet à Saint-Maur, qui vient de se marier avec Gaston, un soldat, à l’occasion d’une permission. La liaison de Radiguet (14 ans) avec Alice, le mari soldat sont autant d’éléments que l’on retrouvera dans Le Diable au corps.
En portant les dessins de son père au journal L’Intransigeant, Radiguet rencontre le poète André Salmon et lui soumet quelques poèmes, qu’il signe du nom de Raymond Rajky.
1918  Il rencontre Max Jacob, et Cocteau, devient journaliste pour L’Eveil et L’Heure et secrétaire pour Le Rire. Il fréquente les milieux de Montparnasse.
Il s’éloigne peu à peu d’Alice.
1919  Il collabore aux revues Dada de Tristan Tzara et Littérature d’André Breton. Le 8 juin, il lit un poème lors de la matinée poétique organisée à la mémoire d’Apollinaire, décédé l’année précédente. Cocteau l’introduit dans de nombreux cercles parisiens, où il rencontre Paul Morand et Erik Satie entre autres.
En fin d’année, début de l’écriture du Diable au corps.
1920  Le 20 février, à la Comédie des Champs-Elysées, Le Bœuf sur le toit, ballet-pantomime de Jean Cocteau, Raoul Dufy réalise les décors, Darius Milhaud compose la musique. Radiguet participe sans doute à ce projet.
Avec Cocteau, il prend ses distances par rapport aux dadaïstes, Breton et Tzara surtout.
En mai, Cocteau, Radiguet, Georges Auric, Francis Poulenc et Erik Satie fondent la revue Le Coq, qui paraîtra jusqu’en novembre.
Radiguet écrit une comédie loufoque, intitulée Les Pélican.
Il écrit avec Cocteau le livret de Paul et Virginie, opéra-comique. Mais la mort de Satie, qui devait composer la musique fait échouer le projet.
Il publie son recueil de poèmes, Les Joues en feu, illustré par Jean Hugo.
Il a une liaison orageuse avec Béatrice Hastings, le modèle de Modigliani. Cette liaison durera deux ans.
1921  Radiguet écrit une nouvelle, Denise. En mai, Radiguet,
Poulenc, Cocteau présentent Le Gendarme incompris, parodie de Mallarmé, avec Les Pélican.
Derniers poèmes et composition du Diable au corps. Publication des Pélican et du recueil poétique Devoirs de vacances.
1922  Le 3 mars Cocteau lit à l’éditeur Bernard Grasset les premières pages du Diable au corps. Le 15 mars Radiguet signe le contrat, mais doit remanier sa version. Cocteau l’y aidera.
Radiguet, en même temps commence la première version du Bal du comte d’Orgel, et fait parvenir des textes au Gaulois et aux Feuilles libres.
En novembre, il assiste aux funérailles de Proust, aux côtés de Cocteau.
1923  En janvier il remet à son éditeur la version définitive du Diable au corps. Bernard Grasset orchestre une grande campagne de publicité en faveur du Diable au corps et de son auteur : il fait parvenir à des personnalités parisiennes une lettre dans laquelle il présente Le Diable au corps, compare Radiguet à Rimbaud, et réfute par avance l’accusation d’immoralité et de cynisme du roman. Il utilise les toutes nouvelles actualités cinématographiques pour présenter le jeune prodige.
Le 10 mars, sortie du roman et d’un article de Radiguet, intitulé  » Mon premier roman Le Diable au corps« , dans Les Nouvelles littéraires. L’auteur y défend son œuvre contre ses détracteurs, choqués par l’apparent cynisme du roman, et également par la grande campagne de publicité qui a fait parler de lui.
En un mois, plus de trente articles de presse paraissent sur Le Diable au corps, le roman se vend bien.
Cocteau, le 3 mai, prononce au Collège de France un discours qui rend hommage à Radiguet. Le roman obtient le prix du Nouveau-Monde le 15 mai.
Pendant l’été il travaille au Bal du comte d’Orgel, classe ses poèmes et rédige une préface en vue d’une nouvelle publication.
En octobre, terrassé par la maladie, il s’alite. On découvre, trop tard, qu’il a contracté la typhoïde. Transporté dans une clinique, il meurt le 12 décembre, à vingt ans.  

Notice biographique rédigée par Clemence Camon

Oeuvres

A venir …..

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