Interviews de Tatiana De Rosnay

Interview de Tatiana De Rosnay pour « Poussière blonde » ( Albin Michel) qui paraitra le 7 février 2024


Interview de Tatiana De Rosnay pour « Elle s’appelait Sarah »

Tatiana de Rosnay- Photo de David Ignaszewski
 

Tatiana de Rosnay publie Elle s’appelait Sarah  (Editions Héloïse d’Ormesson) un époustouflant et magnifique roman.

« Ce livre a tout changé pour moi. Ecrire ce livre a été une véritable  prise de conscience. Une des plus importantes de ma vie ». (Tatiana de Rosnay)

Bonjour Tatiana , en quelques lignes, comment avez vous envie de vous présenter aux lecteurs d’alalettre  qui depuis 2002 suivent vos aventures littéraires sur ce site  (Tatiana fut coup de pouce d’alalettre en janvier 2002) ?

Je voudrais leur dire un grand bonjour et surtout merci à vous, Guy, de me mettre à l’honneur sur ce site que j’apprécie beaucoup ! 

Vos précédents romans étaient des romans contemporains, mettant en scène des hommes ou des femmes  d’aujourd’hui. Comment vous est venue l’idée d’écrire un roman s’inscrivant dans l’Histoire de France ?

Mais Elle s’appelait Sarah est un roman contemporain, je persiste et signe  ! La narratrice, Julia,  est une femme de notre époque, et c’est à travers son regard et son enquête que nous découvrons le calvaire de Sarah, petite fille raflée en juillet 1942. Je suis bien incapable d’écrire un roman historique, et c’est avec mes armes de romancière que j’ai imaginé un livre qui évoque les cicatrices et le tabou de  cette sombre  page de notre passé.

Et pourquoi plus particulièrement la Rafle du Vel d’Hiv de juillet 1942 , une page très sombre et assez méconnue de notre Histoire?

Personnellement, je n’avais pas appris dans le détail cet épisode douloureux de notre histoire au lycée, dans mon adolescence. C’est en enquêtant sur la mémoire des murs (sujet quasi obsessionnel chez moi.) que j’ai abouti –si j’ose dire– rue Nélaton, dans le 15° arrondissement de Paris, là où se tenait le Vélodrome d’Hiver. Et j’ai commencé à m’informer, car je me suis rendue compte que je ne savais pas bien ce qui s’était passé là. Plus je lisais, plus je me documentais, plus j’étais effondrée par ce que j’ai découvert, par le destin tragique de ces 4000 enfants juifs, dont la plupart étaient nés en France.

Elle s’appelait Sarah est une bouleversante évocation de cette période. Ce récit nous est conté par Julia une formidable et très attachante journaliste américaine,  hantée par ce drame  qui entre en collision avec l’histoire de sa propre belle-famille. Ce qui nous permet de vivre en parallèle les événements de l’année 1942 et la vie au quotidien de Julia en 2002. Comment est née l’idée d’associer ces deux époques ?

 Très vite, j’ai compris qu’il me fallait ancrer mon histoire dans un contexte contemporain. Il fallait aussi que mon personnage principal, Julia, ait des problèmes de la vie de tous les jours des femmes d’aujourd’hui : soucis conjugaux, mésentente avec sa belle famille,  difficultés pour avoir un nouvel enfant, etc. Je me suis servie du coté américain de  Julia pour montrer sa vision très personnelle de  la France et sur ce passé difficile que j’évoque à travers Sarah. J’ai voulu que Julia soit attachante, crédible, et qu’on ait envie de la suivre dans son enquête, dans cette boite de Pandore qu’elle va devoir ouvrir envers et contre tout.

Quel regard portiez-vous sur la Rafle du Vel d’Hiv avant de commencer ce roman ? Et qu’est ce que ce livre a changé en vous ?

Ce livre a tout changé pour moi. Ecrire ce livre a été une véritable  prise de conscience. Une des plus importantes de ma vie.  

On sent que vous portez vous-même, comme Julia la narratrice,   un amour immense pour Sarah . N’a-t-il pas été trop dur de mettre un point final à ce roman ? Sarah continue-t-elle de vous hanter ?

Sarah  est comme ma propre fille. Oui, elle continue à me hanter. Elle est le fruit de mon imagination, mais ce qu’elle a vécu, je sais que les 4000 enfants du Vel d’Hiv l’ont vécu , et je voudrais que l’on n’oublie jamais.

Pour la première fois vous écrivez un  roman en Anglais (votre langue maternelle) et confiez sa traduction à Agnès Michaux ? Qu’est ce qui a guidé cette double démarche ?

Quand j’ai commencé à écrire ce roman en juillet 2002, je ne m’étais pas rendue compte tout de suite qu’il me venait en anglais. C’est mon mari, mon premier lecteur, qui m’en a fait la remarque. Mais je n’ai pas été étonnée. J’ai ressenti le besoin de me  réfugier dans ma langue maternelle pour évoquer ce passé terrible de la France. Le fait aussi d’être dans la peau d’une américaine, Julia, a rendu nécessaire ce passage à l’anglais. Agnès Michaux a fait une traduction remarquable de mon roman. On ne demande souvent pourquoi je ne l’ai pas traduit moi même. Mais je  ne suis pas traductrice ! C’est un vrai métier, que je salue et que je respecte.

Vous êtes franglaise  (père français, mère britannique) . Lorsque vous écriviez ce roman vous sentiez vous plus française ou plus anglaise ?

Je dirais anglaise. Je pensais que jamais Sarah ne verrait le jour en France. 

Il y a à la fin de votre roman une impressionnante bibliographie. Combien de temps vous a pris la préparation et l’écriture de Elle s’appelait Sarah ?

J’ai commencé à me documenter en 2001.  Je suis allée à Drancy, à Beaune la Rolande ,  j’ai rencontré des personnes qui ont vécu cette rafle de près, j’ai passé des moments très émouvants. Puis j’ai écrit ce roman entre juillet 2002 et mars 2003, et je l’ai retravaillé entre janvier 2005 et mai 2005.

Elle s’appelait Sarah  est votre neuvième roman. Aussi incroyable que cela puisse paraître, vous avez rencontré des difficultés pour le publier. Comment s’est faite la rencontre avec Héloïse d’Ormesson et Gilles Cohen-Solal ?

Mon ex éditeur, Plon, a refusé ce livre en mars 2003. J’ai ensuite eu un refus de Bernard Fixot. C’est alors que je me suis dit qu’il fallait que je le fasse publier directement aux USA, comme le livre  était en anglais. J’ai cherché un agent  américain à partir de  mai 2003 et j’ en ai enfin  trouvé un. en janvier 2005 ! Mais au bout de six mois, cet agent  n’a pas réussi à trouver d’éditeur outre Atlantique. Alors fin 2005, j’ai rangé Sarah dans un tiroir.Puis, j’ai rencontré Heloise d’Ormesson en tant que journaliste, pour le ELLE. Nous avons tout de suite sympathisé. Mais c’est le très têtu Gilles Cohen-Solal qui a obtenu le manuscrit, que je n’avais pas tout l’intention de donner, vu tous les refus que j’avais essuyés. La suite, vous la connaissez. 

Et aujourd’hui , avant même sa sortie en France, Elle s’appelait Sarah a été vendu dans 15 pays, bénéficie d’un formidable buzz sur Internet  et est  déjà un immense succès d’édition. Comment s’est bâti ce succès ?

Je pense que Heloise d’Ormesson a tout de suite compris qu’il y avait une dimension internationale à ce roman. C’est un éditeur qui défend ses auteurs et leurs  livres avec passion. Pour moi, elle est une sorte de magicienne.  

Vous avez été une pionnière et vous êtes une star sur Internet. Vous  avez créé, en solo ou avec d’autres auteurs, des blogs très consultés. Que vous apporte ce nouveau média et cet échange passionné avec vos lecteurs ?

Je pense qu’Internet permet de communiquer d’une façon extraordinaire, à condition de savoir maîtriser ce nouvel outil. C’est en effet par Internet que j’ai connu des lecteurs, des bloggeurs, d’autres auteurs,  et vous, cher Guy ! 

Après un livre aussi important, comment envisagez vous le suivant ?

J’ai écrit Spirales et Moka après Sarah.
En ce moment j’ai du mal à écrire, c’est vrai. Il va falloir, je pense, attendre l’été pour que je puisse m’y remettre avec sérénité ! Mais j’ai déjà un nouveau roman en cours, débuté en août dernier… Devinez quoi ? Il est en anglais ! 
Merci Guy !

Interview réalisée par mail dernière semaine de février 2007

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