Interview Florian Zeller

Actualité :

Dans l’épilogue de mon article Déclic Zellerien le 1er déc. dernier, je me « challengeais » sur une éventuelle rencontre avec le jeune et surdoué écrivain/dramaturge. Touché par mon vif intérêt, il a rapidement dit « oui » à mon interview. C’est donc avec une joie immense que je l’ai rencontré.

Notre rendez-vous  :

Un café au carrefour de l’Odéon à Paris 6è, le 4 février 2005.

Florian Zeller, très loin de l’image un peu starisée qu’on a de lui, est non seulement arrivé à l’heure, mais s’est aussi donné au jeu des questions avec élégance, délicatesse et beaucoup de simplicité. 

Portrait Florian Zeller
(Photo Flammarion)

Shadi Biglarzadeh  : Bonjour Florian Zeller, dites-moi, êtes-vous zen ou angoissé ?

Florian Zeller :  Bonjour Shadi, je suis angoissé !

D’humeur égale ou inégale ?

Inégale

Vodka ou eau minérale ?

Vodka

Mer ou Montagne ?

Mer

Du jour ou de la nuit?

De la nuit

Après cette petite introduction, faisons une série de questions sur les livres si vous êtes d’accord ; quel livre conseilleriez-vous pour rire ou sourire ?

Ferdydurke de Gombrowicz, c’est le chef d’oeuvre de Gombrowicz.

Votre livre préféré de Kundera (Kundera étant l’auteur qui lui a donné envie d’écrire, ndlr)

Le livre du rire et de l’oubli.

Un livre pour s’émouvoir ?

Je serai mauvais conseiller, car l’émotion n’est pas ce que je recherche dans les livres

Un classique indispensable ?

La définition des classiques, c’est qu’ils sont presque indispensables, donc…

Un livre intemporel à offrir sans faute de goût ?

Le livre que j’offre en ce moment c’est Le corps du roi, de Pierre Michon

Un livre en littérature internationale qui vous a bluffé ?

La plupart des livres de Philippe Roth

Un livre à conseiller aux gens qui ne lisent jamais ?

C’est une bonne question je trouve ça ! (silence) .Disons les livres d’Albert Cohen

Un livre à lire en diagonale ?

Je ne peux pas donner de  nom de livre à lire en diagonale. On peut lire un essai, un pamphlet ou les journaux en diagonale, mais pas un roman, je ne vois pas comment. Sinon on s’arrête avant la fin c’est tout.

Le succès apporte beaucoup de choses comme l’aisance matérielle, l’épanouissement personnel et professionnel, qu’est-ce qui est le plus important pour vous dans tout ça ?

Je ne suis pas sûr que le succès apporte tout ça. Artistiquement le succès apporte une plus forte liberté, disons un capital de liberté. La liberté c’est ce qui vaut le plus cher. Par exemple, j’aurai plus de facilité à monter ma troisième pièce maintenant que je n’en ai eu pour ma première. 

Et pour les livres ?

Même chose, c’est la possibilité de continuer à faire ce qu’on a envie de faire, en faisant le moins de compromis possible.

On a eu l’occasion de vous voir dernièrement souvent médiatisé pour votre livre, vos pièces etc. Pensez-vous que les écrivains doivent d’abord se faire connaître en tant que personnalité, ou  bien plutôt faire connaître leurs ouvres  ?

Quand on écrit, il y a avant tout, un profond désir, un rêve d’être lu, point.

Ensuite tout ce qui parasite la lecture agit contre ce rêve ou cette ambition d’écriture. Après on est dans une situation où l’on est obligé de parler de son travail pour que les gens y accèdent. Mon enjeu est celui de l’écriture. L’endroit où j’attends d’être éventuellement jugé, reçu ou non reçu, avant tout c’est sur l’écriture. Encore une fois le reste est seulement un parasitage, un contour.

On n’écrit pas pour parler de ce qu’on écrit, mais on parle de ce qu’on écrit pour que les gens découvrent ce qu’on a fait, et c’est tout.

Que pensez-vous de cette phrase de Yann Moix :  « aujourd’hui il est plus difficile d’être un inconnu que d’être célèbre  » ?

Je ne réfléchis pas à la célébrité, ce  n’est pas une notion qui m’importe et je n’ai pas l’impression d’être concerné par ça, et cela ne m’intéresse pas.

En revanche, c’est un des grands thèmes contemporains car c’est vrai qu’il y a  un fantasme collectif de célébrité ; d’autant plus que c’est une célébrité gratuite et sans performance. En effet, aujourd’hui, on peut être connu sans avoir rien fait. Tout ceci est une nouvelle donne de la situation médiatique actuelle, et je ne me sens pas du tout concerné par cela.

Selon vous, que faut-il avoir comme talent rédhibitoire pour pouvoir être écrivain ?  

De la patience, de l’acharnement, et une capacité à la souffrance.

Y a- t- il une question que vous auriez aimé que l’on vous pose sur votre dernier livre « la fascination du pire » ?

Non, aucune.

Il y a un moment où le discours autour d’un texte parasite le texte et le pollue. Puisque que vous parliez des médias, on est dans une situation où l’on doit beaucoup parler  et donc il n’y a pas de question que j’aurais souhaité qu’on me pose.

En revanche, il y a énormément de choses sur lesquelles j’aurai voulu me taire. Car c’est à cette seule condition que le texte peut exister et se déployer. Je trouve que tous les discours paralittéraires noient énormément les choses.

Quel talent auriez-vous aimé avoir  ?

Une oreille musicale beaucoup plus pointue. J’aurais aimé être meilleur musicien. J’adore la musique.

 De quel talent vous seriez-vous passé ?

(silence) …

Bon eh bien, .. quelles sont vos ambitions  ?

L’ambition la plus haute quand on écrit est d’écrire un grand livre qui justifie l’ensemble. Un seul livre peut justifier une vie je trouve.

Mais vous avez encore beaucoup de temps !

Oui je sais, j’ai le temps, je ne suis pas pressé. Mais vous savez, je ne fais pas les choses dans la précipitation mais surtout par désir ou nécessité ou plein d’autres choses.

Planchez-vous déjà sur votre prochain livre ?

Non, non.

Il y a une phrase de Racine que j’aime beaucoup et qui résume ma situation : « une pièce est pratiquement finie, quand il ne reste plus qu’à l’écrire » , donc j’en suis là. Il me reste donc des choses à écrire. Techniquement je n’ai pas commencé mais d’après Racine, c’est presque fini !

Où et comment écrivez-vous ? Respectez vous un cérémonial particulier ? Ordinateur, cahier de notes, stylo  spécial ? vous isolez-vous complètement ou pas du tout  ? 

Je ne respecte absolument aucun cérémonial. Ma seule règle est que j’écris chez moi. Oui,  je m’isole dans la vie, chez moi, tous les jours.

Je marche beaucoup dans une pièce par exemple, je tourne en rond et je réfléchis à voix haute ;  vu de l’extérieur, je me dis que cela doit être très ennuyeux…

Je n’ai donc aucun rituel. Tout dépend de ce que j’écris et du moment, mais en général j’utilise un carnet et mon ordinateur, ça dépend de ce que j’écris ; en fin de compte comme je l’ai dit au début, ma seule règle est juste celle d ‘écrire chez moi.

Vous écrivez tous les jours ?

Ça dépend des moments, mais en général oui. Sauf qu’en ce moment, je suis un peu assailli par le théâtre, donc c’est plus difficile.

Pourquoi ?

Car le théâtre est une véritable occupation et une préoccupation en ce moment car il y a beaucoup de choses à faire. Il y a des réalités matérielles évidentes, plusieurs personnes sont impliquées, c’est une aventure ponctuelle qu’on peut décider d’abandonner quand on est auteur ou bien qu’on peut décider de vivre.

Justement vu de l ‘extérieur, pour nous le public, on ne se rend pas bien compte, on se dit que vous êtes juste l’auteur des pièces.

Certes, j’aurais pu faire que l’écrire mais il y a beaucoup d’autres choses derrière. Il faut porter un véritable projet, trouver des acteurs, rencontrer des personnes que cela intéresse. Ensuite, on peut se désolidariser en tant qu’auteur et prendre une distance laissant le metteur en scène faire, ou bien alors – et c’est ce que j’ai davantage fait – on assiste réellement à tout ça pour le vivre et apprendre avec eux.

Pour la première pièce « L’autre » (jouée au Théâtre des Mathurins à Paris) j’ai été très présent à toutes les répétitions, pour voir la pièce être jouée comme je  voulais qu’elle soit jouée.

En revanche, pour la deuxième pièce « Le Manège » (jouée au Théâtre du Petit Montparnasse à Paris) c’est Nicolas Briançon qui l’a mis en scène avec la liberté qui était la sienne, celle du metteur en scène ; et notamment la liberté de prendre de la distance par rapport à moi.

Comment choisissez-vous vos acteurs ? Ils sont tous plutôt jeunes.

Non, regardez Nicolas Vaude qui joue dans le Manège, a 42 ans… !

Mais ce n’est pas très vieux !

Non je ne dis pas que c’est vieux, mais il y a de tout. Regardez Aurélien Vick qui joue dans la nouvelle version de « L’autre » a 22 ans. Mes personnages ne sont pas vieux donc je ne peux pas proposer à un acteur âgé de jouer dans ma pièce !

Vous avez donc 2 pièces à l’affiche en même temps. C’est rare non ? Vous ne seriez pas un peu « work addicted » ?

Oui ce n’est pas très courant, mais c’est aussi un hasard. Au début la première pièce était prévue pour être jouée 2 mois, puis, compte tenu du succès, cela fait déjà 6 mois qu’elle est jouée. Mais tout ceci n’était pas prévu comme ça au début.

Alors, votre seconde pièce « Le manège » a débuté le 28 janv.-05. L’histoire ?

C’est l’histoire de quelqu’un à qui l’on a dit « fais comme chez toi » qui est une formule de politesse, mais qui l’a pris au premier degré. Il s’invite dans le salon d’une femme qu’il a aimée et on le retrouve comme ça sur le canapé du salon, il ne veut pas en partir. Et elle, elle  voudrait qu’il parte ou faire en sorte qu’il parte puisqu’elle attend quelqu’un, mais il s’acharne à être là, à être interminablement là et à envahir son espace vital et à prendre en otage sa propre vie.

Il convoque ainsi pour régler ses comptes avec elle, tous les fantômes qui sont entre eux deux : c’est à dire les amants qu’ils ont été, les amants qu’ils ne sont plus et qui sont incarnés par d’autres personnages et c’est comme ça que commence un peu l’histoire, et la ronde surtout et c’est une ronde entre tous les personnages qui échangent leurs identités pour régler leurs vieux comptes.

C’est vraiment très intéressant comme histoire !

Ah bon ?

Justement ma question suivante c’est : pourquoi faut-il y aller ?

(rires) Je ne sais pas pourquoi il faut y aller !

Disons parce que c’est d’abord du théâtre, et je ne comprends pas pourquoi les gens ne vont pas plus au théâtre, les représentations au théâtre sont des expériences tellement fortes. C’est souvent des expériences physiques. Si les gens ne vont pas suffisamment au théâtre, à mon avis c’est parce qu’ils n’ont pas trouvé des choses qui les ont attrapées ou contaminées à la passion du théâtre.

Pour « Le manège », je pense qu’une grande part du public qui vient voir cette pièce sont des gens qui ont déjà vu la première pièce « L’autre ». Donc la raison pour laquelle, finalement, il faut venir voir Le Manège, c’est qu’il faut d’abord avoir vu « L’autre » !

Maintenant que je vous connais un petit peu, je puis vous dire que dans ce que j’ai pu percevoir dans mon entourage, vous avez un public livre et un public théâtre.
Etes-vous d’accord avec mon analyse ?

Oui je suis d’accord.

Car ce sont deux styles d’écriture différents. Je crois que ce sont deux chemins empruntés assez différents, mais qui se rejoignent.

Dans vos trois livres, vos personnages sont tous fragiles, cassés avec des fêlures, est-ce une vision purement romanesque ou bien ressentez vous les gens comme ça dans la vie ?

L’univers romanesque ne peut pas être purement déconnecté de la réalité ressentie sinon cela n’a pas vraiment de sens ni d’ambition ni de vigueur. Les êtres qui nous attachent, nous troublent ont ces fêlures, sans doute oui.

Je ne parle jamais de moi ni de ce que je vis dans mes livres. En fait, cela dépend de ce que l’on écrit, il m’arrive de prendre des distances énormes avec ma réalité lorsque j’écris et à d’autres moments de m’y coller un peu plus.

Beaucoup de gens racontent leur vie dans les livres en changeant les noms des personnages et les noms des rues. Moi je n’ai jamais fait une écriture de la confession, jamais. Non pas, que ça ne m’intéresse pas, bien que ça ne m’intéresse pas beaucoup ! mais aussi parce que ma propre vie n’a pas d’intérêt, tout simplement !

Comme vous êtes aussi philosophe, alors dites-moi . Qu’est ce qu’une vie réussie ?

Une vie qui a pu éprouver au mieux toutes les curiosités  qui l’ont composée, quelles qu’elles soient. Et en tentant de rester le plus longtemps possible fidèle à soi-même.

Ne jamais tarir cet élan, qui nous pousse à la découverte vers le désir. Oui je pense que c’est profondément ça. Et quels que soient les événements qui composent une vie, quelque que soient les actes accomplis, ou les actes manqués, les rendez-vous réussis ou manqués, encore une fois je crois que ce qui détermine la vigueur ou la puissance d’une vie, c’est cette fidélité permanente au désir de comprendre, de découvrir et de toucher.

Et l’aspect matériel ?

Ça favorise beaucoup de choses, ça aide notamment à vivre des choses variées et nouvelles, c’est une évidence.

Quelles sont les fautes qui vous inspirent le plus d’indulgence ?

Les fautes qui n’impliquent que soi. Les fautes qui ne mettent pas en péril ou en souffrance les autres.

Et le moins d’indulgence ?

Tous les actes qui sont animés par l’envie. L’envie est une dimension profondément médiocre de l’être humain, je trouve.

C’est pareil que la jalousie, non ?

La jalousie est un joli mot qui selon moi est à garder pour les choses de l’amour.

Mais… oui, cela revient au même par rapport au désir de nuisance, effectivement.

Que détestez-vous par-dessus tout  ? 

Je ne sais pas, c’est tellement large comme question.

Et qu’aimez-vous  par-dessus tout ?

(rires). Vos questions !

État présent de votre esprit  ?

Attentif, concentré.

Quelle langue étrangère auriez-vous aimé parler ?

L’arabe.

Quelle est la dernière question qu’il ne faut pas que je vous pose  ? 

L’heure qu’il est !

Et celle que je dois vous poser  ?

Celle que vous venez de poser juste avant.

Florian, avez-vous une ou plusieurs questions à me poser ?

Oui, hum . Où avez-vous trouvé vos questions ?

Réponse de Shadi Biglarzadeh  : Eh bien j’ai épluché tous les médias : articles presse, interview télévisées, radio, etc.. Et j’ai essayé de vous poser les questions que je n’ai pas vues, lues, ou entendues, ce qui me paraissait être tout de même plus intéressant.

Autre chose ? 

Oui. Dites-moi quel est l’état présent de votre esprit ? (rires)

Réponse de Shadi Biglarzadeh : Heureuse !

Enfin, pourquoi avez-vous accepté cet entretien avec moi ? 

Par reconnaissance pour votre générosité.

Propos recueillis par  Shadi  Biglarzadeh
Consultante  Stratégie-Organisation en Nouvelles Technologies
shb_alalettre@yahoo.fr