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John
Ronald Reuen Tolkien
(1892-1973)

John Ronald Reuen
Tolkien a toujours eu du mal à s'imposer en France. Même le succès
incontournable de l'adaptation cinématographique par P. Jackson de son
oeuvre la plus célèbre, « le Seigneur des Anneaux », a
suscité en nos contrées des moues dubitatives. Tel éminent critique, à
la sortie du premier volume, concédait du bout des lèvres que le film était
sauvé par « le sens épique » du réalisateur, et dans la
foulée appelait avec gourmandise à goûter la sortie imminente d'un
« vrai » film (en l'espèce « gangs of New York » ,
auquel lequel on n'a pas grand'chose à reprocher par ailleurs, mais
qui n'avait rien à envier au « Seigneur... » en matière de
violence et de lourde symbolique...). Certes, l'univers de J.R.R
Tolkien n'est pas forcément d'un abord facile, et à tout prendre,
notre critique critique touchait juste : hors le souffle épique, il
faut explorer l'oeuvre comme un continent, ce qui peut lasser,
rebutter... On peut légitimement décliner le voyage.
J.R.R. Tolkien
naquit à Bloemfountein (dans l'actuelle République d'Afrique du Sud)
en 1892. Il perdit très tôt son père, et revint jeune enfant encore en
Angleterre. Il vécut dans un petit village près de Birmingham, Sarehole,
depuis lors avalé par la banlieue tentaculaire de « B'Ham »,
comme l'appellent affectueusement ses habitants. Tous ces éléments,
perte du père, perte d'une ruralité happée par le monde industriel,
ont probablement joué un rôle dans la genèse de l'oeuvre.
L'oeuvre...
Laquelle, au fait ?
J.R.R Tolkien, outre le célébrissime SdA, a produit plusieurs livres. Le
second en célébrité, mais précédent en chronologie, est « Bilbo
le Hobbit », dont le personnage-titre figure en bonne place dans le
SdA. En troisième position, on citera le « Silmarillion »,
publié à titre posthume par son fils Christopher (le seul qui ait suivi
la voie paternelle, et dans l'édition, et dans la filière
professionnelle puisqu'il devient aussi professeur à Oxford), littérairement
indigeste mais qui a le mérite ou peut-être le blâme de donner la toile
de fond du SdA, et d'en expliquer platement toutes sortes d'attendus
et de sous-entendus. En fait, le SdA tout entier tient dans un court chapître
final du Silmarillion...
Pour finir, on
citera quelques nouvelles, courts romans, et recueils de poemes dans le
style du « vers allitératif anglo-saxon », poèmes dont les
poètes professionnels se sont toujours allègrement gaussé. Peut-être
Tolkien fût-il à la poèsie ce que Voltaire fut au théâtre ? Sans
juger de la qualité des vers en question, ce qui me dépasse, du moins
peut-on y déceler une source majeure : l'amour passionné des
langues anciennes, en l'espèce le vieil anglais, langue purement
germanique, dont Tolkien regretta amèrement, sa vie durant, la
corruption par le français des conquérants normands...
Au risque de décourager
l'explorateur devant l'ampleur de la tâche, il faut bien l'avouer :
le coeur de l'oeuvre de J.R.R Tolkien, c'est bel et bien le
Silmarillion... Ouvrage tôt commencé, jamais fini, puisque, on l'a vu,
publié après sa mort. Dans ses premières ébauches, il s'intitulait
le « livre des Légendes Perdues », titre pompeux, mais reflétant
fort bien l'ambition de son auteur. Le Silmarillion commence... A la Création
du Monde ! Et mieux, il décrit sa propre Genèse, en toute modestie.
On touche là, d'emblée, à une autre clé majeure de l'oeuvre de
Tolkien : la religion. Tolkien etait fervent catholique, ce
qui, en Angleterre, n'est pas forcément facile à porter. Ceci explique
l'absence apparente de religion dans le SdA (dont des exégètes
distraits ont pu s'étonner...). Il est vrai qu'on n'y voit pas un
seul prêtre, pas une seule église... Mais toute l'oeuvre de J.R.R
Tolkien est imbibée de religion ! Il met en scène Dieu Lui-même
(re-nommé « Eru », ou « Illuvatar », au gré du
texte), et le Très-Haut intervient directement dans le script, prononçant
et effectuant, de but en blanc, la transformation de la terre plate en
terre sphérique (lors de la submersion de Numénor) !
Après avoir évoqué
déjà la passion de linguiste de Tolkien (à travers le « vers
anglo-saxon »...), nous venons d'en voir une autre illustration.
Dieu, dans le Silmarillion, est donc nommé « Illuvatar »...
Comment ne pas y voir, et y entendre, « Illustrious Father » ?
Non, ce n'est pas une blague. Tolkien, de son propre aveu, a voulu
construire toutes ses extravagantes histoires comme des illustrations de
ses propres inventions linguistiques ! Très tôt, il s'attacha à
créer des langues imaginaires, bien avant d'acquérir la confortable
dignité de Don à Oxford. Très sensible à la musique des mots (d'où
aussi, sans doute, le fameux « vers allitératif... »), il
se basa sur la phonétique, respectivement, du finnois et du gallois. Il
créa donc de toutes pièces deux langues, le « quenya »
(pseudo-finnois, si on veut) et le « sindarin »
(pseudo-gallois, de même). Le premier est la langue des premiers elfes,
apparus sur terre par la Grâce de Dieu, stricto sensu, spontanément doués
de parole. Le second est une évolution du premier, puisque les langues
vivent, et que le cours du temps, inexorablement, les corrompt...
Il reste un
dernier ressort à toutes ces étonnantes histoires...
Autant le « Livre des Légendes Perdues » trouve ses premiers
brouillons vers 1917, alors que Tolkien, sur le front français, tombe
malade à répétition (ce qui le sauvera, d'ailleurs), pour être
inlassablement remanié jusqu'à la mort du bonhomme, autant, vers la
fin des années 30, Papa Tolkien doit, comme bien d'autres, contribuer
aux nuits enchantées de ses petits bonshommes et bonnes femmes, et pour
celà... Il invente des histoires ! Il ne leur sert pas tel que le
« Livre des Légendes Perdues », assez foisonnant et obscur,
mais il s'en inspire sourdement, et il raconte, raconte... Tolkien était,
d'évidence, un merveilleux conteur. Ce qui explique au demeurant
pourquoi le « souffle épique » traverse le SdA, pourquoi la
joie enfantine anime le « Hobbit »... Et pourquoi le
Silmarillion est, pour être poli, pesant : Christopher a sans doute
hérité des notes et des brouillons, mais pas du talent. Enfin, pas de
celui-là, en tous cas.
A cet égard, il
convient de signaler que J.R.R.Tolkien n'était pas un écrivain
professionnel, qu'il n'utilisait aucun des outils désormais
classiques de l'écriture (scripts, story boards et autres...). Il écrivait,
totalement, « à l'intution ». Ainsi, lorsqu'il commença
le SdA, il pensait seulement écrire une suite au « hobbit »,
sans imaginer seulement ce qui allait en sortir. Le personnage
d'Aragorn, par exemple, qui allait faire le succès de Viggo Mortensen
auprès des dames (ou, pour rester politiquement correct, auprès de qui
aime les beaux hommes...), n'existait pas avant que Tolkien écrivît
la scène de l'auberge du Poney Fringant (« the Prancing Pony »).
Nous voici donc
nantis de trois facettes du personnage Tolkien, qui sont autant d'axes
clairs, autour desquels s'articule l'oeuvre :
-
le linguiste,
-
le
catholique,
-
le conteur
Jean-Paul
Uro
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