Né un 2 décembre, jour de la Sainte Bibiana (Viviana), réputée pour ses
dédoctions contre l'épilepsie, les maux de tête et la "gueule de bois", Tom
John Boyle (Coraghessan est un prénom d'emprunt), était-il de ce fait
"prédestiné" ? Athée proclamé, il le réfute, admettant toutefois que
son oeuvre peut suggérer un tel patronnage. Deux de ses romans historiques, Riven
Rock et Aux bons soins du Dr. Kellogg (The Road to Wellville)
dénoncent les abus de la psychiatrie ou de ce qui en tient lieu. Quant aux maux de tête,
il s'en est infligé quelques-uns, par abus de drogues, avant de rejoindre l'atelier
d'écriture de l'Université de Iowa. Ce qui le détourne de la musique et du mode de vie
très bohème qui l'accompagnait. Il s'assagit, commence à publier des nouvelles, genre
qu'il illustre toujours, puis un premier roman historique, Water Music (récit
aussi ironique qu'épique de la découverte de l'Afrique par Mungo Park).
Distingué par un prix Faulkner pour Au bout du monde (World's End),
roman à la Dos Passos mêlant les époques et fustigeant les perversions du Rêve
américain, il s'inspirera ensuite des mésaventures de quelques-uns de ses amis pour sa
"pastorale" : La belle aventure (Budding Prospects, ou "à la fortune
du pot"). Son statut d'auteur culte, à la Pynchon, Vonnegut, doit beaucoup à
cette picaresque évocation des plantations clandestines de cannabis en Californie. Mais
une partie de la critique américaine le boude lorsque paraît América (The
Tortilla Curtain, prix Médicis étranger), qui met aux prises un émigrant mexicain
et un libéral bien-pensant claquemuré dans une cité-résidence "assiégée"
à la fois par les atteintes à l'environnement et l'exode des démunis.
Avec Un ami de la terre (A Friend of the Earth, à paraître
chez Grasset dans les prochains mois), roman d'anticipation, l'humour se fait
encore plus caustique pour dénoncer, au-delà de la "malbouffe", des atteintes
au climat et de l'égoïsme des possédants, d'autres aspects du mythe social américain.
Né sinon pauvre, du moins très modestement, sur la Côte Est, vivant désormais dans
l'aisance, à Santa Barbara, traduit en près de vingt langues, il fait figure d'écrivain
de la mauvaise conscience. Pour lui, la bonne, celle d'un humanisme moderne ; s'il tient
le journal de bord de la nef des fous, c'est toujours en raconteur, avec une verve et un
sens de l'autodérision qui font le bonheur de ses lecteurs. Ses futurs recueils de
nouvelles (parus en français : Si le fleuve était whisky, Histoires sans héros,
Vingt-cinq histoires d'amour...) et ses prochains romans devraient, semble-t-il,
renouer avec la veine facétieuse, douce-amère, voire souvent hilarante, qui a tant fait
pour sa réputation. Avant peut-être, de s'atteler à une nouveau récit à la manière
des Contes de Voltaire.
Jef Tombeur