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Josette Rico

 

Josette Rico enseigne à l'Université Montesquieu-Bordeaux4, et fréquente avec une fructueuse assiduité, les travaux de l'Institut du Champ freudien.

En cette année de commémoration du 50ème anniversaire de la mort de cette  femme moderne et écrivain, elle publie sa thèse Colette ou le désir entravé,  chez L'Harmattan.  

 

Éléments de biographie personnelle :

"Malgré un parcours atypique sur le plan professionnel, je suis fondamentalement une amoureuse des Lettres, citoyenne de leur République depuis que je sais lire ! L'écriture des femmes, ce "continent noir" qui déconcerta Freud, me laisse pensive et oriente mon intérêt critique. La curiosité qu'on peut aussi appeler l'amour du savoir, et notamment du savoir qui gît en nous à notre insu, m'a amenée il y a longtemps déjà vers les contrées de la psychanalyse. Ce qui me permet, depuis, d'examiner les effets conjugués de la lettre et de l'être... Colette et le désir entravé est le dernier fruit de cette rencontre".

Josette Rico

 

 

Résumé de Colette ou Le Désir entravé

 

"Colette ou le désir entravé", titre de ma recherche dans le cadre d'abord d'une thèse, a résulté d'une lecture qui, il y a quelques années, m'avait surprise.  Les classiques "morceaux choisis" des lectures enfantines et scolaires, puisés dans la série des Claudine, mais aussi dans Sido ou dans des extraits des Vrilles de la vigne, avaient laissé s'installer une image de Colette assez conforme à ce qu'en disait généralement la critique : cette image mettait en relief l'importance de la volupté et de l'instinct chez cette "fille de la terre"[1] qu'aurait été Colette. Nostalgique d'un état d'harmonie avec le monde[2] déjà goûté pendant la petite enfance en Puisaye, s'interrogeant dans une langue magnifique  et poétique sur la place de l'amour dans la conquête du bonheur, Colette demeurait d'abord un écrivain, dont la vitalité balzacienne devait sans doute trouver sa source dans l'ombre forte, tutélaire de Sido, soit du côté maternel. Cette image-là de l'écrivain se rencontre en effet sans aucun doute, à travers l'ensemble de ses écrits. Colette elle-même dans ces mêmes écrits, notamment ceux directement autobiographiques, évoque l'importance de la maison natale, des racines provinciales, rend hommage à la personnalité maternelle dans sa formation initiale, si peu conventionnelle.

Or une lecture peut-être audacieuse mais respectueuse et soucieuse avant tout de justesse m'amène dans ma recherche, à repérer aussi dans l'ouvre une autre tonalité, moins spectaculaire, plus sombre sans doute mais non moins dynamique. C'est notamment dans la problématique de l'identité féminine, de l'écriture, de la place de l'autre... En écho, la biographie de Colette par ailleurs bien documentée à ce jour, renvoie l'image d'une femme-écrivain en tension permanente : dans ses rencontres avec l'autre sexe, et dans le déploiement de ce qu'il faut bien désigner comme sa carrière dans le champ littéraire de son époque. Souffrances, déchirements affectifs dès lors qu'il s'agit d'aimer, sentiments de l'effort et de la difficulté dès lors qu'il s'agit d'écrire. C'est cette tension que j'interroge, à partir des "entraves" et des lignes de fracture de l'écrivain : celles qu'elle reconnaît dans le domaine intime et qui apparaissent en filigrane dans l'ouvre littéraire ; et celles, probablement plus inconscientes, qui sont en ouvre sans la dissuader d'avancer : la question de l'identité et de la sexualité, questions au cour de ses réflexions.

 Le travail sur les textes - travail parfois microscopique sur écriture, arguments et motifs -  se révèle fertile. Voici pourquoi :

Plus précisément, la lecture permet de remarquer le surgissement dans le texte d'un certain nombre de signifiants (mots ou vignettes romanesques) dont le retour régulier et insistant notifie une sorte de fixité dans l'imaginaire de l'écrivain. Plus précisément encore, je note l'insertion relativement fréquente dans l'écriture du vocabulaire désignant une zone corporelle bien délimitée : la jambe, le pied, associés directement ou pas à une valeur : la validité ou ses équivalents moraux ou esthétiques, et l'invalidité, toujours assortie d'une tonalité pathétique, plus ou moins en sourdine. L'emploi d'ailleurs, parfois métaphorique de ce vocabulaire, chez Colette, dont certains exemples sont analysés dans ma thèse, ne manque pas de surprendre tant il est déconcertant.

Quant au développement des thèmes romanesques de l'écrivain tout au long de son ouvre jusqu'à Julie de Carneilhan, il fait entendre me semble-t-il, une plainte ambiguë sur l'impossible rencontre amoureuse : "il n'y a pas d'amour heureux" mais il faut bien admettre que chez Colette, du moins dans la fiction produite par l'écriture, l'homme s'avère encombrant. Déçue par la banalité attendue des amours, l'héroïne de Colette  tel "le Vagabond" sans racines de Charlie Chaplin, prend la route et se tourne vers d'autres horizons !

Pour l'écrivain Colette, les biographies faisaient ressortir la complexité de l'itinéraire amoureux de la femme (ce qui en soi peut paraître banal) mais tout autant la fidélité acharnée au travail de la plume, souvent dans la réticence et même la souffrance. Ce dernier trait, jamais démenti par Colette,  ses jugements sur ce que lui coûtait son activité d'écrivain dans sa vie ordinaire, ne manquent pas de surprendre. De même que la violence de son déni  d'une prétendue vocation d'écrivain : "[...] je n'ai jamais, jamais voulu écrire "[3], elle dont la critique n'a pourtant pas fini à ce jour, de recenser l'ouvre.

Le dernier point que met en valeur la lecture des textes et leur analyse, en accord avec la critique, c'était la puissance formidable qui se dégage des personnages féminins de Colette et de Colette elle-même : puissance physique ou morale, souvent les deux. Pour Colette, une femme est "faite en femme", matériau insolite, inédit et purement colettien, qui garantit selon elle résistance et vitalité ! Dans une littérature établissant traditionnellement l'homme comme le "sexe fort", l'univers de Colette par son inversion des fonctions et valeurs sexuelles, fait basculer les clichés. Pour autant, nous n'avons pas une littérature "féministe", vouée à la célébration facile d'une prétendue supériorité d'un sexe sur l'autre.

 Derrière la représentation idéale d'une femme puissante, d'allure phallique, s'entendent plutôt, selon notre analyse, une inquiétude, une incertitude : qu'est-ce qu'être une femme ? Qu'est-ce qui permet à une femme de se savoir telle ? Comment échapper au pire, c'est-à-dire à la castration, qui est une manière de faire avec le rien, éternellement féminin, ou ce qui vous manque ? L'errance identitaire, sexuelle de Colette - errance que nous interrogeons - pendant quelques années avant qu'elle s'installe définitivement dans le patronyme COLETTE, traduit cette perplexité relative  à l'existence, plus encore à son existence comme femme, non sans effets sur son devenir. Et ce qu'elle pose et tentera de réaliser,  c'est la possibilité pour tout être d'échapper à son destin anatomique, et de modifier l'image sociale qui s'y attache : elle se fait écrivain et écrivain reconnu, donc phallique, dans le champ littéraire de son époque.

Avec ces éléments tels que nous venons de les décrire et que la thèse déploie,  il ne s'agit pas pour moi de produire une biographie nouvelle de Colette, pas davantage une "pathographie" morbide, "paranoïde" de l'écrivain à partir de ce qui, dans son ouvre et son existence, parait problématique et sensible. A l'origine de la recherche, l'intérêt était vif d'essayer de comprendre : quel avait été le désir de Colette qui l'avait poussée à créer pour elle sans faillir une trajectoire ascendante, comme femme-écrivain, alors même que l'écriture était vécue sur le mode de la plainte, à la manière d'un symptôme dont la cause semblait lui échapper ? Et pourtant, comme nous l'examinons, elle ne lâchera jamais la plume : un sujet se plaint de son symptôme, mais il y tient.

Comment d'autre part établir un lien entre cette pulsion jouissante d'écrire, et la division intime que trahit l'éternelle interrogation sur la féminité avec, comme conséquence douloureuse, le sentiment, fût-il fantasmatique, d'une incompatibilité avec l'autre sexe, comme le déploient romans et nouvelles ?

Pour tenter de trouver une signification aux paradoxes que ma lecture et mon étude mettent particulièrement en relief, je reprends un par un les signifiants par lesquels la vie et l'ouvre de Colette ont pu passer : l'invalidité et la menace de  castration sous-jacente, l'écriture, le trouble identitaire et l'indétermination sexuelle avec ses conséquences dommageables sur le lien à l'homme. Enfin, en arrière-plan fidèle, une circonstance historique de taille, à savoir la guerre, parait provoquer une résonance singulière chez l'écrivain. L'amour, la guerre constituent. deux centres d'intérêt ordinaires chez Colette, qui méritent développement et analyse. Le relevé de ces signifiants m'amène à examiner, à côté de Sido et de l'influence qu'elle avait pu avoir sur la destinée de sa fille, la figure du Capitaine, Jules Colette, le Zouave ardent des campagnes d'Italie de Napoléon III, Jules Colette, l'officier, déjà amputé de sa jambe gauche lorsque naissait l'écrivain. La recherche se fait donc à la lumière des effets possibles de la fonction paternelle dans le devenir et la vocation de Colette, comme femme et comme écrivain.

Personnage en retrait d'après les biographies et de l'aveu même de Colette, il m'a paru cependant à l'origine de la destinée de l'écrivain à partir de deux traits essentiels qui semblaient le représenter : son amputation corporelle, et son impuissance à écrire, révélation posthume et dramatique pour les siens, alors même que sa vie durant, il avait été gouverné par ce désir-là, mais trop absorbé peut-être par sa ferveur amoureuse pour Sido.

Ce personnage déficitaire, dont la gaieté méridionale sombre parfois dans la "tristesse des amputés", est demeuré énigmatique à sa fille, son élue dans la fratrie. Il lui laisse le souvenir incertain d'une silhouette trouée, barrée et surtout un "héritage immatériel", bouleversant : des feuillets vides d'une ouvre qu'il n'a jamais écrite, témoignages pathétiques d'une imposture et d'un désir avorté. La thèse s'attache à cette imago, pour nous déterminante.

J'ai donc, à partir de mes lectures de la vie et de l'ouvre de Colette, posé l'hypothèse d'une identification au père, comme on peut l'observer dans la théorie et la pratique psychanalytiques. Prendre pour soi le désir du père à la manière du sujet hystérique, lui donner consistance pour opérer une réhabilitation imaginaire avantageuse du père défaillant, réussir pour lui exactement là où il a échoué et lutter sans relâche contre les menaces possibles de castration et d'entame : cela m'a paru définir assez justement l'itinéraire de Colette. L'identification à l'image paternelle idéalisée débouche sur une réussite dans le domaine de performance visé : l'écriture, domaine où Colette hissera haut le patronyme dont elle aura joué au fond de l'ambiguïté.  Mais prendre pour soi, à travers une identification réussie, le désir de l'autre ne va pas sans dommage pour un sujet : il y perd l'assurance de son identité, il y doute de son sexe, il y méconnaît son propre désir. Ce qui ne va pas sans compliquer ses rencontres avec le ou la partenaire. C'est ce passif-là que nous donnent aussi à voir la vie et les récits de l'écrivain, contrepartie coûteuse de l'héritage. L'apaisement du symptôme, la pacification avec l'homme viendront peu à peu, réellement, dans la dernière partie de la vie de l'écrivain que les images de sa vieillesse montrent immobilisée des membres inférieurs, comme si le trait fascinant du père était venu se convertir, faisant retour dans la réalité corporelle, charnelle, pacifiant en même temps le rapport  de l'écrivain à l'écriture. C'est ce que nous développons pour finir : une éthique de l'écriture en contrepartie de la rançon de la chair.

Considérant, après Freud et d'autres critiques, littéraires, que la psychanalyse fournissait des concepts susceptibles d'être appliqués aux textes littéraires en lien avec la biographie des créateurs, je tente donc concernant Colette, de retrouver la cause de l'histoire d'une femme singulière en ce siècle, dont le seul partenaire a été l'écriture. Cela, à partir de traces qui me paraissaient témoigner de l'importance de la fonction paternelle dans l'acte de création et dans les choix d'existence de Colette.

C'est cette perspective[4], fertile et non exclusive, respectueuse des textes et de l'écrivain, qui a guidé mon travail.

Josette RICO

Université Montesquieu-Bordeaux-IV

 

 



[1] "Colette (1873-1954), Bernard LECHERBONNIER, Dominique RINCE, Pierre BRUNEL, Christiane MOATTI, Littérature. Textes et documents, XXème siècle, pp.308-309

[2] "son enfance de fruit sauvage, âpre et humide, et ouverte sur les manifestations primaires de la vie..." écrit Jean TORTEl en 1954, à la mort de Colette, dans les Cahiers du Sud, tout en s'interrogeant sur le manque d'audace de ses commentateurs et l'absence d'analyse profonde de l'ouvre de l'écrivain

[3] Jusque dans les Entretiens qu'elle accorde à André Parinaud en 1949, elle reconnaît qu'elle n'a jamais eu de "facilité" dans l'art d'écrire. Pour elle, écrire s'apparente à un devoir de bien faire et à un "effort".

[4] Lire particulièrement Max MILNER, Freud et l'interprétation de la littérature, Sedes, collection "Les livres et les hommes", 2ème édition, 1997.

Lire aussi Jean BELLEMIN-NOEL, Littérature et psychanalyse (PUF, QSJ ? ) suivi de Psychanalyse du texte littéraire (Nathan, 1996) et Paul-Laurent ASSOUN, Littérature et psychanalyse, Éclipses, 1996

 

 

 

 

 

 

 

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