Dino Buzzati (1906-1970)

« Le domaine du Désert des Tartares est celui de la traversée d’une existence, sur un tempo qui est donné par le battement d’un coeur, une respiration, c’est le pur tracé d’un destin dans sa fascinante progression ». Rosanna Delpiano

Dino Buzzati est né à Belluno le 16 octobre 1906.

Le 9 juillet 1928 il entre en tant que chroniqueur au journal Corriere della Sera. Comme tous les écrivains, Buzzati est un oiseau de proie doté d’un talent exceptionnel pour s’emparer du butin et le restituer avec une élégance incontestable. Ce qui fait sa particularité : il vole beaucoup moins à la littérature qu’à la vie quotidienne, à la sienne comme à celle de ses amis, intensifiée par un riche appendice de rêve.

Au Corriere della Sera, Buzzati trouve une ambiance caractérisée par de fortes analogies avec la vie militaire. En face de la porte un petit escalier tortueux, semblable à tant d’escaliers parisiens, grimpe jusqu’au dernier étage. Ces marches à vous couper le souffle inspirent à Buzzati les escaliers qui conduisent aux boyaux glacials du fort Bastiani.

Toutes les nuits, de 1933 à 1939, l’écrivain reste enfermé dans son bureau, absorbé par un travail plutôt monotone et fatigant ; le temps passe et il se demande s’il en sera toujours ainsi. La fuite du temps est le thème universel qu’il cherchait, une machine implacable qui le broie, lui et l’immense majorité de ses semblables.

Tard dans la nuit, une fois son travail au Corriere della Sera achevé, Buzzati rentre chez lui, se glisse dans son lit et écrit avec la lenteur propre à son écriture aux formes anguleuses. Le désert des Tartares est né. La décision de substituer l’atmosphère d’un fort militaire à celle de la rédaction a pour but de renforcer le caractère allégorique de l’histoire comme métaphore universelle.

Le choix de situer le Désert des Tartares dans cette vie militaire permet à Buzzati de créer, par une grande économie de moyens, des atmosphères raréfiées et fabuleuses hors de tout contact immédiat avec la réalité datée du temps.

La mission en Afrique comme correspondant et photographe du Corriere della Sera fournit à Buzzati l’occasion de s’échapper à l’obscure routine de la rédaction milanaise qu’il avait sublimée dans Le désert des Tartares. Mais, le soir de 1940, à Milan il retrouve le poids de sa propre érosion quotidienne. Sa perception de l’écoulement des heures et des journées, temporairement momifiée par les sables du désert, se réveille dans toute sa fatale acuité.

La situation en Italie se précipite de jour en jour. L’entrée en guerre est tenue pour certaine.

Le 30 juillet Buzzati est envoyé comme correspondant de guerre sur le croiseur Fiume, puis sur le Trieste. Buzzati, chroniqueur de guerre écrit ce qu’il voit, un peu avec la transfiguration des poètes, sans pour autant dévoiler les arrière-plans ou altérer les images.

En avril 1959 Buzzati fait la connaissance de la femme qui va devenir la protagoniste d’une  » malheureuse histoire « , ensuite  » sublimée  » dans le roman  » Un amour « .

Un amour est la réponse à l’attente de la rencontre avec l’ennemi de Giovanni Drogo. Pour Buzzati l’amour est en lui-même, indépendamment de l’objet, une réponse au sens de la vie. Les Tartares sont arrivés, pourquoi s’étonner s’ils sont barbares et féroces, tellement sûrs d’eux ?

Un amour fut très mal accueilli par la critique. Le mythe d’un Buzzati idéal, seigneur d’atmosphères surréelles, se trouve entaché par l’étalage de ses propres nudités dépouillées de métaphores et, selon les accusations dépouillées de poésie. Mais, soit la curiosité suscitée par les critiques, soit le sujet  » piquant  » quinze mille exemplaires furent vendus en seulement deux jours. Il fut le Best  seller de l’année.

En 1960 Buzzati fait la connaissance d’Almerina Antoniazzi, mannequin. Il voit en elle une  » douce, candide adolescente « , enfin une femme en qui avoir confiance. Ses dernières années sont adoucies par un équilibre affectif basé sur la discrétion et sur le respect mutuel.

Les premiers symptômes de la maladie firent leur apparition en juin 1970. Il accueillit la confirmation d’avoir un cancer du pancréas comme une libération la fin d’un cauchemar. Sa seule réaction extérieure fut un progressif, tranquille détachement du monde.

Buzzati est un réaliste du légendaire. Le héros buzzatien évolue d’abord dans l’épaisseur ordinaire de la vie, presque dans sa banalité.

Romans essentiels, les romans de Buzzati sont aussi des paraboles sur l’essentiel, de telle sorte que leur ensemble constitue une véritable  » traversée des apparences  » une quête de l’essence des êtres et des choses.

La parabole chez Buzzati est l’outil le mieux adapté pour approcher un réel toujours fuyant, pour le traduire avec le plus d’humilité et de ferveur, en le déformant le moins possible. Par la fable, le conte, le fantastique, par toutes les ressources de son imaginaire, Buzzati s’emploie à faire grincer les engrenages logiques, à élargir les fissures, nous contraignant à toucher du doigt les incohérences de ce que nous avons appris à nommer le réel.

Buzzati est parvenu avec une pureté de cœur et une modestie toute artisanale, à construire, touche par touche, l’une des réflexions les plus hautes, mais les moins hautaines, sur notre aventure d’homme. Aucun de ses thèmes n’est réellement novateur ou original : l’angoisse, la solitude, le vieillissement, le doute, l’attente. Rien qui puisse échapper un jour ou l’autre au commun des mortels.

Ses contes moraux et ses paraboles inscrivent Buzzati dans la meilleure tradition des fabulistes, par-là nous entendons la descendance d’Esope. On peut également trouver ça et là dans sa prose le style de Verga. Ses façons de raconter qui lui sont propres, sèches, linéaires, désenchantées et souvent pathétiques. La langue est simple, dépouillée. Les êtres et les choses sont dessinés avec une force tranquille et leur portée métaphysique ne nous semble jamais indissociable de leur présence charnelle.

L’activité de Buzzati est loin de se limiter au récit fantastique. On lui doit des poésies burlesques, des scénarios de cinéma, des textes pour le théâtre, plusieurs livrets d’opéra. Son œuvre picturale et graphique est inséparable de son œuvre narrative.

Rosanna Delpiano

Bibliographie  :

Dino Buzzati, Antonella Montenovesi, Édition  Veyrier, Collection « Les plumes du temps ».
Dino Buzzati, Michel Suffran & Yves Panafieu,  Éditions  La Manufacture.

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