Manderley Forever : Daphné de Rosnay

Il est des lectures ou des rencontres qui peuvent vous marquer à jamais et changer votre vie. Pour Tatiana de Rosnay, l’un de ces événements a sans doute eu lieu lors de la lecture de Rebecca de Daphné du Maurier : « Elle est entrée dans ma vie, confie la romancière, lorsque ma mère, anglaise, m’a offert Rebecca pour Noël. Je devais avoir 12 ans, et j’étais un vrai rat de bibliothèque. Ce livre a été une révélation. Je voulais déjà être romancière, et je signais Tatiana Du Maurier. J’étais complètement possédée ».

Pour tous ses livres, Tatiana de Rosnay travaille passionnément avant de se lancer dans l’écriture. C’est durant cette phase « d’infusion » qu’elle lit beaucoup, rencontre les personnages clés, s’immerge totalement dans l’univers qu’elle souhaite dépeindre. Pour sa première biographie, elle n’a pas dérogé à la règle : Elle a rencontré les enfants et petits-enfants de Daphné du Maurier, relu tous ses livres, est allée à Mayfair, à Hampstead, à Meudon, en Cornouailles où l’auteure de Rebecca aimait tant séjourner, a relu les trois biographies anglaises qui lui étaient consacrées.

Elle a aussi réussi à nouer des liens d’amitié avec les enfants de la romancière, dont Tessa l’une de ses deux filles qui lui a confié des lettres échangées avec sa mère lors de son adolescence. Tatiana y a découvert une facette maternelle méconnue de la romancière, elle qu’on disait froide et préférant ouvertement son fils Kits.

Après avoir acquis toute cette matière, l’auteure de Boomerang s’est retrouvée face à un énorme puzzle! Qu’elle allait être la clé qui allait lui permettre de nous conter la biographie de Daphné du Maurier ? « C’est alors, confie-t-elle, que j’ai vu, dans ma tête, cette petite fille qui ne comprenait pas pourquoi elle portait un nom français. Et à partir de là, tout s’est enchaîné. Quand j’ai écrit On l’appelait Sarah, j’ai fait un travail similaire. Avec l’impression cinématographique de suivre l’héroïne, une caméra sur l’épaule ».

Et nous voici embarqués dans un récit haletant et passionnant de 437 pages. Sous la plume de Tatiana de Rosnay, Daphné du Maurier devient un véritable personnage de roman : « Mais tout est absolument vrai, tient-elle à préciser. Je n’ai rien inventé.»

Ce qui frappe dans la lecture de Manderley forever, c’est qu’à des années-lumière d’une biographie académique, on devient le témoin privilégié de chacun des moments de la vie de Daphné du Maurier. Tatiana rend un magnifique hommage à la romancière qui l’a tant fascinée durant son enfance, dont le parcours a guidé le sien et qui l’accompagne depuis toujours dans son travail d’écriture (au point d’avoir surnommé son bureau Manderley).

Ce portait de l’auteure de Rebecca par l’auteure d’Elle s’appelait Sarah est fascinant et envoutant. Des dizaines de scènes restent en mémoire. Pour n’en citer que quelques-unes : La jeune fille qui se réfugie dans son pays imaginaire, se créant un double masculin, Eric Avon, qui lui permet d’exprimer ses instincts de garçon manqué. Menabilly, le manoir abandonné auquel Daphné du Maurier redonna vie et où elle habita pendant plus de vingt ans. Il inspira Manderley, le château de Rebecca. Elle dut le quitter la mort dans l’âme en 1969 . Et enfin ses amours féminines sensuelles ou platoniques (Fernande Yvon, sa directrice d’études lorsqu’elle vint étudier en France, Ellen Doubleday, l’épouse de son éditeur américain, l’actrice Gertrude Lawrence …). Ces aventures et ces amours ne l’empêcheront pas d’être profondément amoureuse de Sir Frederic Browning qu’elle épousera en 1932 et avec qui elle aura trois enfants.

Daphne du Maurier dans les escaliers de Menabilly,
le chateau qui inspira Rebecca

Ce qui est troublant dans Manderley forever, c’est aussi de découvrir cette complicité et ces nombreux points communs entre les deux romancières : elles sont toutes deux franco-anglaise ou anglo-française, portent avec décontraction et élégance une particule, ont un père qu’elles admirent, mais qui a connu un tel succès qu’il leur a fallu se battre pour faire exister leur prénom. Toutes deux ont aussi eu très tôt une magnifique chevelure argentée et l’ont revendiquée tête haute, refusant résolument de la teindre. Elles aiment le bleu et, de façon plus anecdotique, n’aiment ni cuisiner, ni conduire. Elles sont toutes deux très drôles à la ville et écrivent des romans sombres et mystérieux qui ont connu d’immenses succès au cinéma. Enfin elles éprouvent la même fascination pour les maisons, leurs mystères et les secrets de famille (Rebecca, Sarah, La mémoire des murs, Rose …).

Il y a aussi ce bonheur de découvrir comment Tatiana de Rosnay analyse les passions, les douleurs, les troubles et les secrets de Daphné du Maurier pour expliquer les mystères de l’étincelle romanesque : «Voilà, écrit Tatiana de Rosnay, comment se nourrissent les romans, d’ardeurs et d’obsessions, tout ce qu’on ne peut exposer au monde extérieur au risque de passer pour une démente, tout ce qui se trame dans l’âme des écrivains, fragments de vérités et de fantasmes, argile personnelle façonnée et pétrie à souhait dans le dédales d’un labyrinthe de l’intime interdit aux visiteurs» .

tatiana de Rosnay

Photo : Denis Felix

Comment nait un roman ? Comment un personnage s’invite-t-il dans un récit ? Comment les écrivains transcendent-ils leurs souvenirs personnels pour en faire des histoires inoubliables ? En glissant ses pas dans ceux de daphné du Maurier, Tatiana propose de belles réponses. C’est pourquoi Manderley Forever est sans doute l’un de ses livres les plus personnels, car elle y dévoile aussi une part d’elle-même tout en préservant le mystère.

En refermant cette biographie, on n’a qu’un seul regret, que ces deux romancières ne soient pas contemporaines et que Daphné du Maurier ne puisse à son tour, rendre un hommage aussi vibrant et passionné à Tatiana de Rosnay.

 

« Manderley Forever » – Tatiana de Rosnay – Alabin Michel – Héloïse d’Ormesson – 22 euros – en librairie le 25 février 2015

Guy Jacquemelle

 

 

Pour en savoir plus :

  • Le site officiel de Tatiana de Rosnay : http://www.tatianaderosnay.com
  • Interview de Tatiana de Rosnay pour son roman à l’encre russe sur alalettre
  • Interview de Tatiana de Rosnay pour son roman Rose sur alalettre
  • Nicolas Duhamel, alias Nicolas Kolt, un héros ineffaçable
  • Villa Belza
  • Dagmar Hunoldt, la Madonna de l’édition
  • Angèle Rouvatier sur Facebook
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  • Interview de Tatiana de Rosnay sur alalettre
  • Elle s’appelait Sarah
  • Moka, le huitième roman
  • Boomerang
  • Spirales
  • La Mémoire des Murs ,
  • Interview de Tatiana de Rosnay pour son roman Rose sur alalettre
  • Le site des Editions Héloïse d’Ormesson